La Révolution trahie et le sort de l’Union soviétique

Voici une conférence présentée en août 2007 lors de l’université d’été du Parti de l’égalité socialiste à Ann Arbor au Michigan.

Certains diront, quant au sujet que nous abordons aujourd’hui et qui traite de la nature de classe de l’Etat soviétique et de notre position sur cette question, pourquoi y porter attention ? Quelle différence cela fait-il ? L’URSS a cessé d’exister il y a environ seize ans.

Alors que les pragmatistes ne verraient aucun intérêt à cette discussion, les marxistes, pour leur part, voient cette question complètement différemment. Les soixante-quatorze années d’histoire de la Révolution russe représentent une expérience stratégique majeure de la classe ouvrière internationale. Octobre 1917 fut la première révolution socialiste réussie. Peu importe l’attitude de certains envers la révolution, cette dernière doit être étudiée et comprise. Bien que l’Union soviétique n’existe plus aujourd’hui, elle a laissé sa trace.

Il serait impossible d’avoir une compréhension du monde actuel, au 21e siècle, sans considérer l’histoire de l’Union soviétique. Elle a inspiré des centaines de millions, sinon des milliards d’individus à travers le monde, tant dans les pays capitalistes avancés que dans les colonies.

Léon Trotsky, le premier marxiste à avoir théoriquement anticipé la Révolution d’octobre 1917 en Russie, à avoir ensuite dirigé cette révolution et plus tard à être devenu son historien, est aussi l’auteur de l’œuvre classique sur sa trahison. La Révolution trahie a été publiée en 1936, avec une introduction datant d’exactement 71 ans samedi dernier. Cela a coïncidé avec le premier des Procès de Moscou, un nouveau chapitre sanglant des crimes du stalinisme et un événement ayant été entièrement anticipé et expliqué dans ce livre.

L’analyse de l’Union soviétique par Trotsky a été le résultat et l’aboutissement de toute la lutte de l’Opposition de gauche depuis 1923 jusqu’alors. Cette lutte ne prenait pas comme point de départ les conditions soviétiques et n’était pas confinée uniquement à l’Union soviétique. Comme Trotsky l’expliqua, ce fut la chaîne du capitalisme mondial qui brisa à son point le plus faible, mais ce ne fut pas seulement un maillon qui brisa, mais toute la chaîne. Les leaders de la révolution étaient bien au courant des obstacles majeurs auxquels ils devraient faire face, obstacles allant au-delà du défi immédiat, bien qu’il fût énorme, de vaincre les Blancs et les armées impérialistes dans la guerre civile. Dans la foulée de la dégénération stalinienne et du rétablissement du capitalisme dans l’ancienne Union soviétique, il est nécessaire de souligner que la révolution a aussi présenté d’énormes opportunités, inaugurant une période de soulèvements révolutionnaires et créant nombreuses opportunités pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir dans d’autres parties plus avancées du monde capitaliste.

Comme David North l’explique dans les tous premiers paragraphes de son introduction de notre édition de 1991 de la Révolution trahie, cette analyse n’aurait pu être faite qu’en utilisant l’arme scientifique du matérialisme dialectique, et cette analyse est en soi une expression et un développement de cette méthode du marxisme. En luttant pour défendre la Révolution russe de l’impérialisme et des agents politiques et idéologiques de l’impérialisme à l’intérieur de l’Union soviétique et de l’Internationale communiste, Trotsky a été capable de découvrir et démontrer les contradictions essentielles de la révolution et de l’Etat ouvrier, pour l’analyser scientifiquement, en d’autres mots, comme un organisme vivant. Cela est élaboré puissamment dans le chapitre de ce livre intitulé « Le socialisme et l’Etat ».

La dualité de l’Etat ouvrier est expliquée tant par sa signification générale et universelle que concrètement en lien avec l’URSS. Ce n’est pas le problème de leadership et de politique qui a donné à l’Etat ouvrier sa dualité, mais le simple fait de son existence. Tout Etat ouvrier (ou Etat socialiste, terme qu’utilisait ici Trotsky de manière plus souple), même aux Etats-Unis, aurait ce double caractère : une production socialisée combinée à des normes de distribution bourgeoises.

Avant que nous puissions comprendre le stalinisme et comment ce système a détruit la révolution, il est nécessaire de comprendre son existence comme la domination de la bureaucratie soviétique privilégiée. Et avant que nous puissions comprendre la bureaucratie soviétique, nous devons saisir le sens du bureaucratisme d’un point de vue scientifique et marxiste. Trotsky a clairement expliqué les fondements théoriques d’une telle analyse.

« La dictature du prolétariat est un pont entre les sociétés bourgeoise et socialiste », écrit-il. « Son essence même lui confère donc un caractère temporaire. L'Etat qui réalise la dictature a pour tâche dérivée, mais tout à fait primordiale, de préparer sa propre abolition. Le degré d'exécution de cette tâche "dérivée" vérifie en un certain sens avec quel succès s'accomplit l'idée maîtresse : la construction d'une société sans classes et sans contradictions matérielles. Le bureaucratisme et l'harmonie sociale sont en proportion inverse l'un de l'autre. »

« Mais la socialisation des moyens de production ne supprime pas automatiquement "la lutte pour l'existence individuelle" », poursuit Trotsky. « L'Etat socialiste, même en Amérique, sur les bases du capitalisme le plus avancé, ne pourrait pas donner à chacun tout ce qu'il lui faut et serait par conséquent obligé d'inciter tout le monde à produire le plus possible. La fonction d'excitateur lui revient naturellement dans ces conditions et il ne peut pas ne pas recourir, en les modifiant et en les adoucissant, aux méthodes de rétribution du travail élaborées par le capitalisme. En ce sens précis, Marx écrivait en 1875 que "le droit bourgeois... est inévitable dans la première phase de la société communiste sous la forme qu'il revêt en naissant de la société capitaliste après de longues douleurs d'enfantement". »

« Lénine, commentant ces lignes remarquables, ajoute : "Le droit bourgeois en matière de répartition des articles de consommation suppose naturellement l'Etat bourgeois, car le droit n'est rien sans un appareil de contrainte imposant ses normes. Il apparaît que le droit bourgeois subsiste pendant un certain temps au sein du communisme, et même que subsiste l'Etat bourgeois sans bourgeoisie !" »

Et Trotsky conclut, « L'Etat (ouvrier) qui se donne pour tâche la transformation socialiste de la société, étant obligé de défendre par la contrainte l'inégalité, c'est-à-dire les privilèges de la minorité, demeure dans une certaine mesure un Etat "bourgeois", bien que sans bourgeoisie. Ces mots n'impliquent ni louange ni blâme ; ils appellent seulement les choses par leur nom. »

Ces paroles profondes expliquent les racines matérielles objectives du bureaucratisme et démontrent que l’Etat ouvrier, sous un leadership révolutionnaire, doit lutter, à l’aide des politiques les plus prévoyantes, afin de limiter le bureaucratisme, et non pas prétendre qu’il puisse être oublié ou ignoré. Cela signifie que le parti, et la classe ouvrière même, doivent contrôler la bureaucratie et non l’inverse. C’est-à-dire, par-dessus tout, que l’Etat ouvrier doit joindre la classe ouvrière internationale et recevoir son aide sous la forme d’une extension de la révolution socialiste. Comme Trotsky l’explique :

« Les tendances bureaucratiques qui étouffent le mouvement ouvrier devront aussi se manifester partout après la révolution prolétarienne. Mais il est tout à fait évident que plus est pauvre la société née de la révolution et plus cette "loi" doit se manifester sévèrement, sans détour ; et plus le bureaucratisme doit revêtir des formes brutales; et plus il peut devenir dangereux pour le développement du socialisme. »

Trotsky examine avec attention la transformation de la quantité en qualité, du bureaucratisme en une caste bureaucratique étrangère au socialisme. La lutte entière dirigée par l’Opposition de gauche contre la bureaucratie conservatrice démontre comment, en des circonstances concrètes, le bureaucratisme, qui est inévitable, est devenu le pouvoir bureaucratique, qui lui, ne l’est pas. Le bureaucratisme n’a pas été contrôlé ou minimisé par un développement économique harmonieux. Au contraire, il s’est développé de manière parasitique et a finalement étranglé le parti bolchevique, usurpant le pouvoir politique à la classe ouvrière, détruisant la démocratie ouvrière, trahissant les luttes de la classe ouvrière internationale et finalement, menant une campagne meurtrière de masse contre les ouvriers et l’intelligentsia révolutionnaires.

La lutte contre le stalinisme

Cela n’était pas un processus inévitable. Il y avait évidemment une alternative au stalinisme. Une lutte continuelle était dirigée contre le stalinisme, même quand les chances étaient minces, même après d’importantes défaites, une victoire révolutionnaire aurait pu, en de nombreuses occasions, renverser la dégénérescence de l’Union soviétique et remettre à nouveau l’URSS sur la voie du socialisme, et non sur la voie qui l’en éloignait.

Lénine qualifia l’Etat soviétique d’Etat ouvrier avec déformations bureaucratiques et personne ne s’opposa à cette définition. En pleine maladie, Lénine entreprit une lutte contre le bureaucratisme. Il voyait la croissance de cette dernière, particulièrement sous Staline, comme un danger de plus en plus grave pour la révolution. La lutte contre le bureaucratisme s’unifia contre ce que Trotsky appela la bureaucratie centriste, une couche dirigeante qui s’était ralliée derrière la faction de Staline, mais qui balançait encore de gauche à droite, entre la classe ouvrière d’une part, et le koulak et le nepman de l’autre.

Cette lutte politique était intransigeante et nécessitait donc des ruptures politiques avec Zinoviev, Kamenev, Radek et d’autres, mais cela demeurait tout de même une lutte pour la réforme du Parti soviétique et du Komintern. Ce n’est que plus tard, après la défaite de la classe ouvrière allemande et internationale avec la victoire nazie en Allemagne, et après que les staliniens eurent défendu leur propre rôle criminel, que Trotsky conclut que la bureaucratie était devenue une force consciemment contre-révolutionnaire. Cela n’est qu’un bref résumé des différentes étapes de la lutte de forces en présence : la tendance révolutionnaire marxiste, défendant la cause de la classe ouvrière internationale et de la révolution mondiale, contre les couches privilégiées qui se consolidèrent de plus en plus au sein d’une caste parasitaire et contre-révolutionnaire qui détruisit le Parti bolchevique pour en faire le défenseur de ses propres intérêts.

On doit cependant insister, comme l’a fait Trotsky durant toute cette période, que l’Etat ouvrier n’avait toujours pas été détruit. Cela mérite d’être répété et étudié, car c’est précisément la distinction cruciale entre le parti et l’Etat que de nombreux détracteurs et déserteurs du mouvement trotskyste n’ont pas su comprendre. A partir de 1933, le stalinisme était devenu contre-révolutionnaire, et non pas que « centriste ». Mais même alors, Trotsky insista que l’Union soviétique demeurait un Etat ouvrier, bien que profondément affaibli et dégénéré. Le caractère contre-révolutionnaire de la bureaucratie s’exprimait précisément dans le fait qu’elle était le fossoyeur de la révolution et de l’Etat ouvrier, et non pas qu’elle les avait déjà enterrés.

Tout comme un gouvernement révolutionnaire n’entraîne pas du jour au lendemain l’établissement du socialisme, la réaction thermidorienne, même la perte du pouvoir par la classe ouvrière aux mains d’une bureaucratie parasitaire, n’entraîne pas instantanément ou automatiquement la destruction des conquêtes historiques de la révolution. Comme Trotsky l’expliqua, ces dernières étaient en grave danger. De plus, loin de faire preuve de complaisance au sujet de la supposée permanence de ces conquêtes, l’Opposition de gauche mit en garde que l’Etat ouvrier allait inévitablement être détruit à moins que ne soit renversée la bureaucratie par une nouvelle révolution, cette fois politique.

L’existence à long terme d’un Etat ouvrier dégénéré ne signifiait pas que ce statu quo allait éventuellement mener au socialisme, bien au contraire. C’est une précision fondamentale que seule la Quatrième Internationale fut en mesure de saisir. Le CIQI fut fondé pour défendre cette conquête théorique cruciale et c’est pourquoi seul le CIQI peut expliquer le sort de l’Union soviétique.

Presque dès le tout début, l’Opposition de gauche fut forcée de mener une lutte politique et théorique contre ceux qui, y compris dans l’Opposition elle-même, annoncèrent prématurément la mort de la révolution et de l’Etat ouvrier. Trotsky consacra La nature de classe de l’Etat soviétique, de 1933, et L’Etat ouvrier, thermidor et bonapartisme, environ 18 mois plus tard, à cette lutte. Il fait référence à d’héroïques personnages révolutionnaires, tels que le vieux bolchevique V. M. Smirnov, et de nombreux autres beaucoup moins héroïques, comme l’ex-communiste Boris Souvarine, qui affirmèrent que la révolution avait été complètement détruite.

Tout d’abord, comme il l’expliqua plus en détail dans la lutte contre James Burnham et Max Shachtman (les dirigeants d’une opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party américain qui devinrent les principaux représentants de ceux qui avaient renoncé à la défense de l’Union soviétique), il est non scientifique d’affirmer simplement que « la dictature du prolétariat est éliminée par la dictature sur le prolétariat ».

Pour un formaliste, celui dont les définitions sociologiques ne vont pas au-delà de A = A, il apparait évident que l’un exclu l’autre. Mais comme l’a écrit Trotsky en 1933, « Ce raisonnement séduisant n'est pas basé sur une analyse matérialiste du processus, tel qu'il se développe dans la réalité, mais sur des schémas purement idéalistes, sur des normes kantiennes. »

Sans minimiser pour un instant les crimes de la bureaucratie stalinienne, Trotsky insiste aussi que « Les considérations sur "la dictature de la bureaucratie sur le prolétariat", sans analyse plus profonde, c'est-à-dire sans définition de racines sociales et des limites de classe du commandement bureaucratique, se réduisent tout simplement à des phrases démocratiques clinquantes, très prisées des mencheviks. »

La bureaucratie n’est pas une classe

Conséquemment, Trotsky rejeta l’argument que l’URSS représentait une variété du « capitalisme d’Etat » ou un nouveau type de classe dirigeante. « La classe, pour un marxiste, représente une notion exceptionnellement importante et d'ailleurs scientifiquement définie. La classe se détermine non pas seulement par la participation dans la distribution du revenu national, mais aussi par un rôle indépendant dans la structure générale de l'économie, par des racines indépendantes dans les fondements économiques de la société… De tous ces traits sociaux, la bureaucratie est dépourvue. Elle n'a pas de place indépendante dans le processus de production et de répartition. Elle n'a pas de racines indépendantes de propriété. Ses fonctions se rapportent, dans leur essence, à la technique politique de la domination de classe. » (souligné dans le texte original)

« Les privilèges de la bureaucratie en eux-mêmes ne changent pas encore les bases de la société soviétique, car la bureaucratie puise ses privilèges, non de certains rapports particuliers de propriété, propres à elle, en tant que "classe", mais des rapports mêmes de possession qui furent créés par la révolution d'Octobre… Quand la bureaucratie, pour parler simplement, vole le peuple, nous avons affaire non pas à une exploitation de classe, au sens scientifique du mot, mais à un parasitisme social, fût-ce sur une très grande échelle. [La bureaucratie est] une excroissance du prolétariat. Une tumeur peut atteindre des dimensions énormes et même étouffer l'organisme vivant, mais la tumeur ne peut jamais se changer en un organisme indépendant. »

En d’autres mots, c’est une caste, pas une classe dirigeante. Toute l’expérience avec le bureaucratisme dans le mouvement ouvrier démontre ce que la bureaucratie soviétique partage de façon commune avec ses prédécesseurs réformistes et aussi ce qui est unique quant à son rôle. C’est le premier phénomène de ce genre, pas simplement un appareil de syndicat ou de parti, mais une bureaucratie exerçant un contrôle énorme par tout l’appareil d’Etat. Au même moment, ce n’est pas un phénomène sans précédent historique ou un phénomène qui nous force à rejeter tout ce qui a été appris à travers les expériences passées.

En 1935, Trotsky conclut qu’il avait commis une faute en ne reconnaissant pas plus tôt que le thermidor soviétique, analogue au coup contre-révolutionnaire qui a pris place en 1794 avec la chute de Robespierre dans la Révolution française, avait déjà pris place en URSS, mais plus graduellement, à partir de 1924. Dans son livre, L’Etat ouvrier, thermidor et bonapartisme, Trotsky a mis l’accent sur les différences cruciales entre l’Etat bourgeois et l’Etat ouvrier :

« Après une profonde révolution démocratique, qui a libéré le paysan du servage et lui a donné la terre, la contre-révolution féodale est en général impossible… Les rapports bourgeois, une fois libérés des entraves féodales, se développent automatiquement. Aucune force extérieure ne peut plus les arrêter : ils doivent eux-mêmes creuser leur fosse, après avoir créé leur fossoyeur. » Conséquemment, la réaction thermidorienne en France a éliminé l’aile la plus extrême de la révolution bourgeoise, mais n’avait aucunement l’intention ou l’habileté de renverser les principales conquêtes de la révolution. Même la restauration de la monarchie, même si elle peut s’entourer des fantômes médiévaux, pour reprendre les mots de Trotsky, serait impuissante à rétablir le féodalisme.

« Il en est de toute autre façon avec le développement des rapports socialistes », écrit Trotsky. « Tandis qu'après la révolution l'Etat bourgeois se borne à un rôle de police, laissant le marché à ses propres lois, l'Etat ouvrier joue directement le rôle de patron et d'organisateur… A la différence du capitalisme, le socialisme ne s'édifie pas automatiquement, mais consciemment. La marche vers le socialisme est inséparable du pouvoir étatique qui veut le socialisme ou est contraint de le vouloir. Le socialisme ne peut prendre un caractère inébranlable qu'à un stade très élevé de son développement, quand les forces productives dépasseront de loin les forces capitalistes… »

Conséquemment, le thermidor soviétique eut une signification historique fort différente de celle de la Révolution française. Le thermidor en 1794 ne menaçait pas la révolution bourgeoise. Le thermidor qui a commencé en 1924 menaçait la révolution socialiste. Même si cela n’éliminait pas automatiquement la possibilité de construire le socialisme, cela le mettait gravement en danger et le remettait en question. La bureaucratie dirigeante était de plus en plus hostile aux relations de production sur lesquelles elle reposait.

Cela est crucial à la compréhension de la lutte pour le socialisme lui-même. Voilà pourquoi un parti révolutionnaire est essentiel pour la prise du pouvoir ainsi que pour la construction du socialisme. Trotsky réfute, plusieurs décennies à l’avance, ces apologistes superficiels du capitalisme qui proclament que la fin de l’URSS prouve qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme et au marché. Les marxistes sont très conscients que la supériorité du socialisme sur le capitalisme ne s’affirme pas de la même manière semi-spontanée avec laquelle le capitalisme a supplanté le féodalisme.

Le cœur de La Révolution trahie est dédié à un examen minutieux, sur la base de faits et de statistiques, du thermidor soviétique. Trotsky explique, comme il le dit, « pourquoi Staline a triomphé. » Ce n’est pas parce que la faction stalinienne savait où elle allait, pas parce qu’elle était plus prévoyante. Bien au contraire. Mais le résultat fut déterminé par la lutte vivante de forces de classes opposées.

Il serait trompeur de procéder de façon rationaliste et de ne voir en politique « qu’un débat logique ou une partie d’échecs. Or la lutte politique est au fond celle des intérêts et des forces, non des arguments », écrit Trotsky. « Les qualités des dirigeants n'y sont nullement indifférentes à l'issue des combats », mais les idées justes, bien que nécessaires, ne sont pas en elles-mêmes suffisantes. Il existe des classes ou des groupes dirigeants qui exigent à une certaine période des chefs dont l’ignorance et l’aveuglement sont remarquables [l’ancienne administration Bush des Etats-Unis en est un exemple parfait].

La faction de Staline était aveugle devant de nombreuses choses, mais elle était aussi grandement renforcée par l’isolement de l’Etat soviétique. Ce furent les pressions de l’impérialisme qui renforcèrent la bureaucratie, qui développèrent de plus en plus sa confiance et qui lui permirent de balayer du revers de la main les soi-disant « rêves » de révolution mondiale de l’Opposition. L’Armée rouge fut démobilisée, la fleur de la classe ouvrière révolutionnaire fut tuée dans la guerre civile ou absorbée dans l’administration nécessaire du parti et de l’Etat et la Nouvelle Politique économique fit inévitablement apparaître de nouvelles couches petite-bourgeoises.

Mais par-dessus tout, la situation internationale commença à favoriser la bureaucratie. Comme l’a écrit Trotsky : « La bureaucratie soviétique gagnait en assurance au fur et à mesure que la classe ouvrière internationale subissait de plus lourdes défaites. Entre ces deux faits, la relation n'est pas seulement chronologique, elle est causale et réciproque : la direction bureaucratique du mouvement contribuait aux défaites ; les défaites [en Bulgarie, Allemagne, Estonie, Grande-Bretagne, Pologne, Chine, et encore en Allemagne] affermissaient la bureaucratie. »

La bureaucratie devint un agent de l’impérialisme, car sa perspective pragmatique, mais néanmoins impitoyable, correspondait aux besoins de l’impérialisme mondial. L’impérialisme n’était pas encore en mesure de détruire la révolution, mais ô combien disposé à la transformer en perversion du socialisme.

La montée de la bureaucratie s’exprima dans la doctrine du socialisme dans un seul pays, dans les cruelles attaques contre le trotskysme et la théorie de la révolution permanente ainsi que dans la falsification de l’histoire du Parti bolchevique.

Trotsky insista pour que l’on fournisse une définition concrète de l’URSS, ce qui impliquait nécessairement une définition complexe. Même l’expression « Etat ouvrier dégénéré », bien que certainement juste et correctement différenciée de « capitalisme d’Etat » et de « collectivisme bureaucratique », n’épuisait pas la question. Nous verrons plus loin comment émergea un nouveau courant qui rejetait le marxisme tout en maintenant officiellement son allégeance à la définition de Trotsky mais en lui attribuant un contenu totalement différent. « Qualifier de transitoire ou d'intermédiaire le régime soviétique », écrit Trotsky dans La Révolution trahie, « c'est écarter les catégories sociales achevées comme le capitalisme (y compris le "capitalisme d'Etat") et le socialisme. Mais cette définition est en elle-même tout à fait insuffisante et risque de suggérer l'idée fausse que la seule transition possible pour le régime soviétique actuel mène au socialisme. Un recul vers le capitalisme reste cependant parfaitement possible. »

Et il décrit ensuite aussi concrètement que possible dans les conditions actuelles la nature de cette société :

« L'U.R.S.S. est une société contradictoire, intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme, dans laquelle : a) les forces productives sont encore trop insuffisantes pour donner à la propriété d'Etat un caractère socialiste ; b) le penchant à l'accumulation primitive, né du besoin, se manifeste à travers tous les pores de l'économie planifiée ; c) les normes de répartition, de nature bourgeoise, sont à la base de la différenciation sociale ; d) le développement économique, tout en améliorant lentement la condition des travailleurs, contribue à former rapidement une couche de privilégiés ; e) la bureaucratie, exploitant les antagonismes sociaux, est devenue une caste incontrôlée, étrangère au socialisme ; f) la révolution sociale, trahie par le parti gouvernant, vit encore dans les rapports de propriété et dans la conscience des travailleurs ; g) l'évolution des contradictions accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme ; h) la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance des ouvriers ; i) les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur les terrains national et international. »

Certainement, cette définition en neuf parties explique davantage que toute autre formulation le parcours de la révolution et la nature de l’Etat, mais pour le mouvement trotskyste il ne peut être question de se limiter à la répétition d’une définition apprise par cœur. Des décennies plus tard, le régime stalinien ayant duré beaucoup plus longtemps que Trotsky ne l’avait imaginé et sa corruption s’étant aggravée, il fut nécessaire, bien que demeurant fondamentalement en accord avec cette définition et avec la méthode qui la sous-tend, de prendre en considération l’énorme déclin dans « la conscience des masses travailleuses », en URSS comme ailleurs, ainsi que la croissance de l’inégalité et l’intensité de la crise économique de l’Etat stalinien autarcique.

L’accumulation des contradictions avait atteint un point où les forces luttant pour l’option socialiste faisaient face à des difficultés de plus en plus grandes et où le sort de la Révolution d’octobre dépendait plus que jamais d’une reprise des développements révolutionnaires en occident. Sans aucun doute, l’URSS s’éloigna encore davantage de la construction du socialisme dans la période d’après-guerre, soit tout le contraire, comme nous le verrons, de ce qu’allaient affirmer les pablistes.

En étudiant aujourd’hui La Révolution trahie, il est nécessaire non seulement d’admirer cet ouvrage essentiel du marxisme, mais surtout de revoir et d’assimiler l’histoire des idées et des luttes des sept dernières décennies pour la perspective et le programme présentés par Trotsky dans ce livre. Cette activité doit être au centre de la construction du parti et de la formation de ses membres. Il ne s’agit pas de prendre comme point de départ le nombre de membres du parti, ni de trouver le bon slogan ou la meilleure initiative tactique, mais par-dessus tout de défendre et de développer les fondements programmatiques du mouvement socialiste et le véritable héritage du marxisme pour le 21e siècle.

Cela nous amène à un examen du mouvement trotskyste durant la période suivant la Seconde Guerre mondiale, une période lors de laquelle des partisans contemporains des théories du capitalisme d’Etat et du collectivisme bureaucratique combattues par Trotsky dans La Révolution trahie passèrent à l’attaque. Au même moment, des éléments au sein du mouvement trotskyste, en réaction à la stabilisation temporaire du stalinisme et de l’impérialisme après la guerre, lancèrent une attaque politiquement symétrique contre l’analyse du stalinisme par Trotsky. Elle était politiquement symétrique au sens où elle remplaça la stalinophobie et l’adaptation à l’anticommunisme propres à ceux qui s’opposaient à la défense de l’Union soviétique par une adaptation au stalinisme et à la conception, exprimée dans la célèbre formule pabliste, que le stalinisme serait « forcé de projeter une orientation révolutionnaire ».

D’abord, signalons que la période d’après-guerre fut loin de manquer d’opportunités révolutionnaires et correspondit de manière générale aux prédictions que Trotsky avait faites au début de la Seconde Guerre mondiale. Cette période fut marquée par un immense soulèvement de la classe ouvrière en Europe occidentale alors que des millions de travailleurs en France et en Italie se tournèrent vers les partis communistes pour prendre le pouvoir et que se développaient la Révolution chinoise et des soulèvements à travers le monde colonial.

Les puissances impérialistes victorieuses avaient cependant appris quelque chose des expériences suivant la Première Guerre mondiale. Elles tentèrent de stabiliser leurs anciens ennemis. Elles se tournèrent vers la social-démocratie et surtout vers le Kremlin et les partis staliniens (en Italie, en France, en Grèce et ailleurs) pour discipliner la classe ouvrière et contenir le développement d’une situation révolutionnaire. Alors même que débutait la guerre froide, accompagnée d’une sauvage hystérie antisoviétique et anticommuniste aux Etats-Unis, Washington et Moscou préparaient l’accord d’après-guerre.

Derrière la rhétorique de la guerre froide et la réalité de la guerre chaude en Corée, cet accord rendit aussi possible la stabilisation temporaire de l’impérialisme et de ses agents staliniens, qui sortirent de la guerre avec un certain prestige temporaire, perçus par des centaines de millions de personnes à travers le monde comme les protagonistes d’une nouvelle société. Un boom économique temporaire fut enclenché sur la base de la suprématie du dollar, rattaché à l’or, et de l’utilisation de politiques nationales réformistes keynésiennes. Des régimes staliniens furent établis en Europe de l’Est, acceptés ultimement pas les impérialistes comme un prix relativement faible à payer pour discipliner la classe ouvrière internationale et écraser son indépendance politique et ses aspirations révolutionnaires.

On ne doit pas oublier qu’un important facteur dans tout ceci fut le fait que Trotsky avait été assassiné dans la première de la Seconde Guerre mondiale impérialiste et que le mouvement révolutionnaire se retrouva relativement isolé après la guerre, décimé par la répression du fascisme et du stalinisme et privé d’un essentiel leadership.

Cela pava la voie à l’assaut idéologique et politique contre le mouvement trotskyste auquel j’ai précédemment fait référence. Les pressions de l’impérialisme et du stalinisme se reflétèrent dans les rangs de la Quatrième Internationale.

Nous parlons ici de tendances qui ont émergé après la guerre. Dans le cas des dirigeants de l’opposition petite-bourgeoise qui rompit avec le Socialist Workers Party (SWP) aux Etats-Unis, Burnham avait presque aussitôt abandonné le marxisme pour se diriger loin vers la droite. Shachtman eut besoin de presque deux décennies pour faire ce parcours, mais vers la fin des années 1940 il se rangea de plus en plus derrière la ligne d’appui critique pour l’impérialisme « démocratique » contre la « barbarie » stalinien.

Ces tendances furent rejointes par d’autres qui étaient arrivées à la conclusion que le résultat de la guerre et la consolidation temporaire des staliniens signifiait que le socialisme n’était plus à l’ordre du jour, du moins pour des générations à venir. Telles furent les conclusions de Goldman et Morrow à l’intérieur du SWP américain, du groupe Socialisme ou Barbarie en France et d’autres. Et il y avait ceux, comme le groupe Johnson-Forrest dans le SWP (C.L.R. James et Raya Dunayevskaya) et Tony Cliff en Grande-Bretagne, qui exprimèrent leur accord avec la thèse que l’URSS représentait un « capitalisme d’Etat ».

Le plus grave et immédiat danger posé à la Quatrième Internationale était toutefois celui du développement du révisionnisme pabliste au sein de la direction européenne de la Quatrième Internationale. Michel Pablo et Ernest Mandel déclarèrent que « la réalité sociale objective est essentiellement formée du régime capitaliste et du monde stalinien ». Autrement dit, la crise historique du capitalisme avait été résolue. Cela fut masqué par des paroles de gauche, et même ultra-radicales, comme la guerre-révolution, des siècles d’Etats ouvriers déformés et d’autres slogans semblables, mais l’essentiel de ces politiques consistait en une capitulation aux directions bureaucratiques dans la classe ouvrière. Affirmant que le temps manquait pour la construction de partis révolutionnaires indépendants, les pablistes procédèrent à la dissolution de la Quatrième Internationale dans l’appareil stalinien.

Les pablistes, comme le savent les membres et supporters du Comité international (CI) d’après toute leur histoire de lutte contre cette tendance révisionniste, infligèrent d’énormes dégâts au mouvement trotskyste. Mais on leur résista et ils furent éventuellement politiquement vaincus, d’abord par la Lettre ouverte rédigée par James P. Cannon et le SWP en 1953, et par la suite à travers les luttes constantes du CI, contre le rejet du trotskysme par le SWP, et par-dessus tout contre la dégénérescence du WRP britannique.

Les pablistes ont vidé le concept d’« Etat ouvrier dégénéré » de tout son sens marxiste en développant la théorie que les « Etats ouvriers déformés » en Europe de l’Est, en Chine, au Viêt-Nam, en Corée du Nord et ailleurs représentaient la voie de l’avenir. Comme l’explique David North dans son introduction à La Révolution trahie, les « siècles d’Etats ouvriers déformés » ne durèrent qu’environ quatre décennies. En lisant les déclarations des pablistes durant cette période, jusqu’au moment même de l’effondrement du stalinisme, (tel que le commentaire immortel de Mandel soutenant qu’il était ridicule d’affirmer que Gorbatchev procédait à la restauration du capitalisme en URSS), on doit se rappeler de la phrase célèbre de Trotsky que les grands développements révolutionnaires ne laisseront « pierre sur pierre qui ne soit renversée » dans les diverses tendances centristes et révisionnistes.

Aujourd’hui j’aimerais cependant m’attarder non principalement aux pablistes, mais plutôt aux tendances du capitalisme d’Etat, qui affirment, de manière totalement fausse, que l’effondrement de l’Union soviétique est venu on ne sait comment confirmer leurs théories. J’examinerai particulièrement le rôle de Tony Cliff, l’ex-trotskyste britannique qui quitta la Quatrième Internationale il y a de cela près de 60 ans et qui mourut en 2000, laissant derrière lui de nombreux groupes centristes soi-disant trotskystes, tels que le Socialist Workers Party britannique et, aux Etats-Unis, l’International Socialist Organization (bien que le SWP ait rompu avec l’ISO, ils partagent toujours une perspective théorique commune).

Avant d’aller plus loin, on doit préciser que le terme « centriste » ne s’applique pas ici de la même façon que dans le cas de partis comme le POUM en Espagne ou le SAP en Allemagne dans les années 1930. Ces partis attirèrent de milliers de travailleurs qui cherchaient une alternative au stalinisme et à la social-démocratie. Les capitalistes d’Etat forment un groupe de la classe moyenne dont la perspective antimarxiste a été développée sur des décennies.

Cliff développa sa propre version de la théorie du capitalisme d’Etat soviétique en 1948. Il ajouta peu aux arguments qui avaient déjà été faits des années plus tôt en faveur de cette théorie. En ce qui concernait Cliff, la destruction des soviets et la perte du pouvoir politique par la classe ouvrière signifia que la bureaucratie dirigeante, supervisant la rapide industrialisation lors du premier plan quinquennal, avait été transformée en une classe dirigeante de capitalistes d’Etat. Trotsky, comme nous l’avons déjà brièvement mentionné, avait répondu à ces arguments bien des années auparavant. Jamais Cliff n’expliqua comment la caste dirigeante, sans aucun droit héréditaire ni de relations de propriété particulières, était devenue une classe dirigeante.

Une réaction défaitiste aux développements d’après-guerre

Mis à part le manque d’originalité ou de sérieux théorique de la conception de Cliff, la perspective politique exprimée dans sa critique de Trotsky est extrêmement révélatrice. Son point de départ, a-t-il clairement affirmé, n’était pas la difficulté théorique qu’entraîna inévitablement le changement dans la situation mondiale à la fin des années 1940, mais plutôt sa déception face à ce qu’il considérait comme de faux pronostics et promesses de Trotsky. Il reprit presque mot pour mot les plaintes qu’avaient formulées Burnham et Shachtman une décennie plus tôt, lorsqu’ils avaient déclaré eux aussi que Trotsky était devenu un « faux prophète ».

Comme Trotsky l’explique dans la célèbre section « Une opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party » dans son ouvrage En défense du marxisme, son rôle n’était pas prophète. Il dit : « Quand les représentants de l'opposition poussent de hauts cris "la direction a fait faillite", "les pronostics n'ont pas été vérifiés", "les événements nous ont pris au dépourvu", "il faut changer de mots d'ordre", tout cela sans faire le moindre effort pour réfléchir sérieusement à la question, ils agissent, si l'on va au fond des choses, comme des défaitistes du parti. »[1]

Trotsky emploie ici le terme « défaitistes » pour décrire une faction démoralisée et sceptique qui voyait le parti non pas comme une force révolutionnaire consciente et non pas comme leur parti, mais comme quelque chose d’externe; non pas comme la mémoire vivante et le laboratoire de la classe ouvrière incarnant des générations de luttes, mais plutôt comme un conseiller politique qui eut offert un produit inférieur ou un mauvais service.

Cette question n’est pas sans importance, car elle nous amène au cœur de la méthode empiriste et impressionniste de Cliff et Shachtman ainsi qu’à leur point de vue de classe commun, celui de la petite bourgeoisie démoralisée.

Des décennies plus tard, dans un petit livre appelé Le trotskisme après Trotsky, Cliff résume les « fausses promesses » de Trotsky : « Il avait prédit que le régime stalinien en Russie ne survivrait pas à la guerre… Trotsky pensait que le capitalisme était en phase terminale… Trotsky argumentait que dans les pays arriérés et sous-développés, l’accomplissement des tâches bourgeoises démocratiques ne pouvaient être réalisées que par le pouvoir ouvrier… Trotsky était très confiant que la Quatrième Internationale allait avoir un bel avenir dans les années prochaines. » [2]

Laissez-nous examiner ces crimes horribles dont Trotsky est accusé. Bien sûr, les différentes références ne correspondent pas ici à des garanties, mais à des perspectives révolutionnaires. Comme Trotsky l’a dit dans son discours au Quatrième Congrès mondial du Komintern en 1922, « Nous n’avons jamais basé notre politique sur l’amoindrissement des perspectives et des possibilités révolutionnaires. »

Mais c’est précisément ce qui enrage Cliff — que Trotsky ait poursuivi une politique active qui était basée sur la lutte pour détruire le stalinisme et construire la Quatrième Internationale en tant que force puissante. Le fait que la lutte vivante de forces de classes ennemies ait entraîné des développements complexes et contradictoires, des développements qui ne pouvaient pas toujours être anticipés, est considéré par Cliff comme une invalidation de la nature de l’époque. « Vous nous avez promis des milliers de membres, se lamente-il, mais nous nageons encore à contre-courant. »

Comme Trotsky l’explique dans sa réponse à l’opposition petite-bourgeoise en 1939-1940, les perspectives ne sont pas un billet à ordre, mais un guide pour la pratique. On pourrait très bien argumenter que l’analyse de Marx était fondamentalement fausse parce qu’il croyait que le socialisme arriverait en premier dans un pays capitaliste avancé ; ou que Lénine et Trotsky avaient induit en erreur le mouvement avec leur attente d’une révolution en Allemagne ou ailleurs dans l’Occident capitaliste. En fait, beaucoup faisaient de telles accusations dans le but de justifier leur propre désertion du mouvement révolutionnaire. Cliff et ses partisans s’inscrivent clairement dans cette tradition rebelle centriste.

Cela est davantage démontré lorsque nous examinons les arguments de Cliff plus en détails. « La réalité concrète à la fin de la Deuxième Guerre mondiale était très différente [de la supposée promesse de Trotsky que la bureaucratie allait s’effondrer] », écrit Cliff. « Le régime stalinien ne s’est pas effondré. En fait, après 1945, il s’est renforci en s’étendant à l’Europe de l’Est. » [3]

À l’aide d’une méthode et même d’une conclusion politique assez similaires à celles de Pablo, Cliff, bien qu’il prétendît demeurer un opposant révolutionnaire du stalinisme, a interprété de façon complètement erronée l’expansionnisme défensif de Moscou en Europe de l’Est comme un signe de grande force et de stabilité. Seulement quelques années avant la mort de Staline, le soulèvement en Allemagne de l’Est, la Révolution hongroise et le discours secret de Khrouchtchev en 1956, son verdict sur le stalinisme accordait essentiellement à ce dernier une force interne et un rôle progressiste qu’il n’avait jamais eus.

Et sur le monde capitaliste ? « Le capitalisme d’après-guerre, écrit Cliff, n’était pas coincé dans une stagnation et une détérioration générale. En fait, le capitalisme occidental jouissait d’une expansion massive et avec cela est venu un réformisme florissant… les partis sociaux-démocrates et communistes, loin de se désintégrer, émergeaient dans la période d’après-guerre plus forts en terme de nombre et d’appui que jamais auparavant… En Grande-Bretagne, par exemple, le gouvernement Attlee représentait l’apogée du réformisme… il n’y a aucun doute qu’il a été le plus efficace de tous les gouvernements travaillistes réformistes. Sous Attlee, les travailleurs et leurs familles s’en sortaient beaucoup mieux qu’avant la guerre. » [4] Et il continue dans la même veine sur une page suivante.

Ce n’est pas l’endroit pour récapituler en détail l’analyse faite par le mouvement trotskyste du boom de l’après-guerre, une analyse faite il y a plus de 40 ans. Il suffit de dire que le Comité international, loin d’ignorer le boom, était la seule tendance politique qui était capable de l’expliquer. Comme nous avons insisté, ce n’était pas le résultat d’aucune force inhérente au capitalisme ou d’un quelconque rôle progressiste qui lui restait, mais bien plutôt une réponse aux circonstances suivant la défaite des puissances fascistes. Le rôle de la classe ouvrière armée en Europe devait être pris en considération, tout comme la poussée de la classe ouvrière américaine immédiatement après la guerre et la révolution qui prenait de la vigueur en Chine. L’impérialisme n’avait pas résolu ses contradictions fondamentales, mais était en mesure d’utiliser les services de ses agents dans le mouvement ouvrier, la social-démocratie et particulièrement le stalinisme. La période de l’après-guerre ne peut sans cela être comprise.

A l’opposé, Cliff célébrait l’âge d’or du réformisme. Par-dessus tout, comme les pablistes, il a rejeté les luttes indépendantes de la classe ouvrière et leur impact durant cette période.

L’abandon par Cliff de la théorie de l’Etat ouvrier dégénéré avait une signification politique précise. Cela représentait une capitulation devant les pressions idéologiques et politiques du capitalisme « démocratique » en réponse aux difficultés rencontrées par le mouvement révolutionnaire. Tout comme Shachtman s’était adapté au climat prévalant parmi les intellectuels petit-bourgeois au temps du pacte Staline-Hitler en 1939, Cliff et ses partisans se sont adaptés aux pressions de la Guerre froide. Ils ont tout bonnement trouvé trop difficile et pénible de défendre le marxisme face à la campagne anti-communiste de cette période. Seulement les véritables trotskystes furent capables, comme Cannon l’a si bien démontré dans sa Lettre ouverte, de combattre l’impérialisme sans capituler devant le stalinisme et de combattre le stalinisme, en dernière analyse un agent petit-bourgeois de l’impérialisme, sans capituler devant l’impérialisme.

La capitulation devant les pressions de l’impérialisme « démocratique » est un refrain constant des arguments de Cliff. L’une de ses principales plaintes était que les trotskystes, après la guerre, continuaient à dire que l’Union soviétique était socialiste. « La perception du régime stalinien comme un Etat socialiste, ou même un Etat ouvrier dégénéré — un stade transitionnel entre le capitalisme et le socialisme — implique qu’il est beaucoup plus progressiste que le capitalisme », [5] écrit Cliff. Ailleurs, Cliff utilise les mêmes phrases, disant que pour Trotsky, l’Union soviétique était un « genre déformé du socialisme ».

C’est une falsification de la position trotskyste. La Révolution trahie fut écrite dans le but d’expliquer, et non pour la première fois, la différence entre un Etat ouvrier et le socialisme, sans parler de la différence entre un Etat ouvrier dégénéré et une société socialiste. Le régime stalinien n’était ni socialiste ni progressiste; ce qui restait de progressiste était les conquêtes de la Révolution que la bureaucratie n’avait pas encore détruites. Les capitalistes d’Etat, écartant cette réalité contradictoire, s’opposait à la défense de l’Union soviétique, une défense qui était soutenue par le mouvement trotskyste en dépit du stalinisme et en luttant contre lui, pas en lui accordant une sorte d’appui critique, que Cliff suggère faussement.

Tout en présentant Trotsky sous un faux jour, Cliff a collaboré avec les partisans de Shachtman pendant la décennie des années 1950. Même si le groupe de Cliff en Grande-Bretagne, tout d’abord les International Socialists et, depuis 1977, renommé le Socialist Workers Party, n’est jamais allé aussi loin à l’extrême-droite que Shachtman, sa collaboration avec ce dernier reflétait sa rupture centriste de la Quatrième Internationale.

Un autre constant refrain qui ressort des différents articles et livres écrits par Cliff et ses partisans est la falsification démagogique de l’histoire de la Quatrième Internationale. D’abord et avant tout, l’existence du Comité international est tout simplement ignorée. Cliff cite Pablo, Mandel et le Latino-américain, Juan Posadas, l’ultra-pabliste qui préconisait la guerre nucléaire comme étant la voie vers un futur socialiste. « Mandel, Pablo et Posadas venaient de la même écurie — le trotskysme dogmatique », [6] a écrit Cliff seulement quelques années avant sa mort. Il n’y a aucune mention de Cannon, ou de Gerry Healy lorsqu’il a mené la lutte contre le pablisme dans les années 1960. Selon Cliff, le trotskysme égale le pablisme et cela permet de manière commode aux capitalistes d’Etat de se présenter frauduleusement comme des opposants intransigeants du stalinisme.

L’internationalisme révolutionnaire vs l’opportunisme tactique

Derrière cette grossière falsification se trouve l’hostilité acharnée du groupe de Cliff à la fondation même de la Quatrième Internationale. Duncan Hallas l’explique très clairement dans son livre, Le marxisme de Trotsky (Trotsky’s Marxism), publié en 1979.

Hallas cite des extraits d’un article de Trotsky écrit en 1930 :

« Si la Gauche communiste dans le monde consistait en cinq individus, ils auraient néanmoins été obligés de construire simultanément une nouvelle organisation internationale en même temps qu'une ou plusieurs organisations nationales.

Il est faux de voir une organisation nationale comme la fondation et l'Internationale comme un toit. La relation entre elles est de type entièrement nouveau. Marx et Engels ont commencé le mouvement communiste en 1847 avec un document international et la création d'une organisation internationale. La même chose s'est répétée dans la création de la Première Internationale. C'est exactement le même chemin qu'a suivi la Gauche de Zimmerwald dans sa préparation pour la Troisième Internationale. Aujourd'hui ce chemin est dicté bien plus impérieusement qu'à l'époque de Marx. Il est bien entendu possible à l'époque de l'impérialisme pour une tendance prolétarienne révolutionnaire d'apparaître dans un pays ou un autre, mais elle ne peut se développer dans un pays isolé : le lendemain même de sa formation, elle doit chercher ou créer des liens internationaux, une organisation internationale, parce qu'une garantie de justesse d'une politique nationale ne peut être trouvée que par cette voie. Une tendance qui demeure fermée nationalement pendant plusieurs années se condamne elle-même irrévocablement à la dégénérescence. » [7]

On pourrait imaginer qu’un opposant marxiste du stalinisme, comme Hallas prétend l’être, serait en accord avec cette défense puissante de l’internationalisme contre la sorte de socialisme national défendu par la bureaucratie soviétique. Pas du tout. Il continue en dénonçant ce passage, disant que les arguments de Trotsky « ne survivrons pas à un examen critique ». Selon Hallas, le Manifeste du Parti communiste fut écrit pour la Ligue communiste, « qui était internationale seulement au sens qu’elle existait dans plusieurs pays. C’était essentiellement une organisation allemande, consistant en des artisans et des intellectuels émigrés allemands à Paris, Bruxelles et ailleurs, ainsi que de groupes en Rhénanie et en Suisse allemande. »

Qui plus est, dit Hallas : «La Première Internationale a débuté comme une alliance entre les organisations syndicales britanniques déjà existantes sous l’influence libérale et celles françaises sous l’influence proudhonienne … » [8] Et ainsi de suite. Cette falsification ignorante de l’histoire déforme intentionnellement la nature essentielle du document programmatique de fondation du socialisme scientifique, présente faussement le travail que Marx a fait tout au long de sa vie et tente de le dépeindre comme un syndicaliste seulement parce qu’il a patiemment lutté avec un groupe de syndicalistes dans le but d’établir les bases pour un mouvement international.

Les capitalistes d’Etat, loin d’être des opposants de principe du stalinisme, ont ultimement mis de l’avant une conception du parti avec laquelle les staliniens pouvaient être en accord. Selon Hallas, les expériences de 1917 à 1936 « ont démontré la nécessité de partis enracinés dans leurs classes ouvrières nationales durant une longue période de lutte des demandes partielles » [9].

On ne pourrait avoir un rejet plus explicite du marxisme. Cette perspective résume « l’opportunisme tactique » des capitalistes d’Etat. Cherchant à s’enraciner dans la classe ouvrière britannique sur la base de demandes partielles, et non sur un programme international, c’est exactement ainsi qu’ils ont fonctionné durant toutes ces décennies : militantisme syndical et collaboration avec les bureaucraties syndicale; manifestations à enjeu unique de la classe moyenne comme dans leur ligue anti-nazi des années 1970 et 1980; collaboration aujourd’hui avec Tommy Sheridan et le nationalisme écossais, et avec George Galloway et la coalition électorale Respect. Aux États-Unis, l’ISO est devenu le plus grand champion de Ralph Nader et des Verts, et plus récemment du démagogue anti-trotskyste Peter Camejo.

L’effondrement historique de l’Union soviétique en 1991, précédé du renversement des régimes staliniens de l’Europe de l’Est, a mis à l’essai les nombreuses conceptions de la nature du stalinisme soutenues par les multiples tendances politiques de gauche au cours des décennies précédentes.

Évidemment, les pablistes ont été immédiatement et totalement démasqués, même si en fait, ils l’avaient été bien plus tôt. Il y a le cas de Michael Banda du Workers Revolutionary Party britannique, aujourd’hui converti à la perspective pabliste, qui fit l’affirmation grotesque que le rétablissement du capitalisme en URSS n’était même plus une possibilité et ce, quelques années seulement avant que cela n’ait lieu.

Les capitalistes d’Etat affirment que l’effondrement de l’Union soviétique est venu d’une certaine façon confirmer leur position, mais cela n’est basé sur rien d’autre que des déclarations faites sans analyse sérieuse.

En fait, les théories du capitalisme d’Etat et du collectivisme bureaucratique ont échoué à tout point de vue quant à l’explication des soixante-quatorze années d’histoire de la Révolution russe et les conséquences de l’effondrement de l’URSS.

Ils ne peuvent expliquer pourquoi la bureaucratie a nié sa propre existence et a continué, jusqu’à la fin, à diriger au nom de la classe ouvrière; pas plus pourquoi les Partis communistes, aussi dégénérés fussent-ils, ont continué à se baser sur leur influence et leur contrôle du mouvement ouvrier dans le monde capitaliste.

Le capitalisme d’Etat ne peut expliquer pourquoi la bureaucratie était hostile aux relations de propriété sur lesquelles elle reposait. Si la bureaucratie était une classe dirigeante, c’était la première fois dans l’histoire qu’une classe dirigeante exhibait une telle relation antagoniste avec la source même de son pouvoir. En fait, sa relation avec la propriété nationalisée était parasitaire.

Il ne pouvait non plus expliquer le rôle international de la bureaucratie. Elle n’a jamais été un facteur indépendant défendant sa propre propriété, mais a plutôt fonctionné comme une agente de l’impérialisme, qu’elle aura servi en étouffant le mouvement de la classe ouvrière.

Cette habileté à contrôler le mouvement ouvrier est précisément ce qui a atteint un cul-de-sac dans les années 1980. Le stalinisme avait épuisé son utilité, car la crise économique mondiale ne lui avait laissé — ainsi qu’aux autres leaderships bureaucratiques, les bureaucraties réformistes et ouvrières — aucune marge de manœuvre pour continuer le genre de politiques nationales réformistes qui étaient possibles à une période précédente.

L’Etat soviétique avait un caractère double, comme nous l’avons expliqué. À ce sujet, les capitalistes d’Etat ne peuvent expliquer la source fondamentale de la Guerre froide qui a duré plus de quatre décennies. Si l’URSS était capitaliste d’Etat, pourquoi l’Union soviétique était-elle perçue comme une menace aux yeux de l’impérialisme mondial ? Ce n’était évidemment pas un produit de l’imagination. Le monde capitaliste s’est trouvé en opposition à l’Union soviétique non pas à cause de la bureaucratie, mais à cause de l’exemple de la Révolution russe. Un exemple toujours existant, bien qu’existant sous une forme extrêmement dégénérée. C’est pourquoi la Guerre froide s’est terminée à un moment bien précis, et c’est pourquoi l’impérialisme célébrait le rétablissement du capitalisme dans l’Union soviétique, bien que le triomphalisme ait été de courte durée pour des raisons que nous avons abondamment analysées et expliquées.

Les capitalistes d’Etat ne peuvent non plus expliquer la dévastation qu’a soufferte la classe ouvrière de l’Union soviétique après son effondrement. Le monde a été témoin d’un déclin du niveau et de la durée de vie sans précédent dans l’histoire moderne, une régression encore plus importante que durant les années de la Grande Dépression. Cela a créé, en à peine plus d’une décennie, une polarisation et une misère sociales tellement grandes que cela a engendré de la nostalgie pour Staline. Cela ne peut être compris qu’en termes de changement fondamental dans la nature de l’Etat. Celui-ci reposait précédemment, bien que de manière extrêmement déformée, sur la classe ouvrière, et était forcé de faire certaines concessions, alors qu’aujourd’hui il mène l’assaut sur les conditions sociales et le niveau de vie.

Un dernier point. Les capitalistes d’Etat soutiennent que Trotsky s’était trompé, car le rétablissement du capitalisme n’a pas été le résultat d’une violente contre-révolution, comme il en avait prédit la nécessité. Ici encore, ils sont coupables de déformation et de fausse représentation. Ils ne se soucient pas d’expliquer comment, selon leur propre théorie, le capitalisme a été prétendument rétabli en 1928, en même temps que la présentation du premier plan quinquennal. Ceci est une réelle perversion de la théorie marxiste de l’Etat, car le supposé transfert de pouvoir d’une classe à une autre s’est fait entièrement pacifiquement.

Trotsky, qui écrivait dans les années trente, prévenait du danger de la contre-révolution capitaliste. Le rétablissement du capitalisme, au moment où il a finalement eu lieu quelques décennies plus tard, a été relativement « pacifique » précisément à cause du caractère prolongé de la dégénérescence. Au moment où la bureaucratie fut balayée de la scène, les gains restants de la Révolution d’octobre avaient été à ce point minés que les derniers coups ont été relativement faciles à porter.

Encore une fois, cependant, si l’on se réfère à La Révolution trahie, nous trouvons que même cette variante est anticipée. Après avoir discuté de la possibilité d’une révolution politique prolétarienne contre le stalinisme, ou d’une contre-révolution capitaliste, Trotsky écrit :

« Admettons cependant que ni un parti révolutionnaire ni un parti contre-révolutionnaire ne s'emparent du pouvoir. La bureaucratie demeure à la tête de l'Etat. Même sous ces conditions, l'évolution des relations sociales ne cesse pas. On ne peut certes pas penser que la bureaucratie abdiquera pacifiquement et volontairement en faveur de l'égalité socialiste. Si à ce point-ci, malgré les inconvénients évidents de cette opération, elle a pu rétablir les grades et les décorations, il faudra inévitablement qu'elle cherche appui par la suite dans des rapports de propriété. On objectera peut-être que peu importe au gros fonctionnaire les formes de propriété dont il tire ses revenus. C'est ignorer l'instabilité des droits du bureaucrate et le problème de sa descendance. Le culte tout récent de la famille soviétique n'est pas tombé du ciel. Les privilèges que l'on ne peut léguer à ses enfants perdent la moitié de leur valeur. Or, le droit de test est inséparable du droit de propriété. Il ne suffit pas d'être directeur de trust, il faut être actionnaire. La victoire de la bureaucratie dans ce secteur décisif en ferait une nouvelle classe possédante. Au contraire, la victoire du prolétariat sur la bureaucratie marquerait la renaissance de la révolution socialiste. La troisième hypothèse nous ramène ainsi aux deux premières, par lesquelles nous avions commencé pour plus de clarté et de simplicité. » [10]

Il devrait être clair que la question de la nature de la Révolution russe et la nature de l’Etat soviétique n’est pas un sujet abstrait ou académique, mais plutôt un sujet qui soulève les questions les plus fondamentales à propos de la nature de l’époque, des leçons du vingtième siècle et des problèmes auxquels la classe ouvrière et le mouvement marxiste font face aujourd’hui. La Révolution n’était pas un accident. Sa dégénérescence a également des causes matérielles, lesquelles sont liées aux contradictions fondamentales du système capitaliste qui n’a jamais cessé d’exercer son influence et sa domination sur l’économie mondiale.

C’était précisément la contradiction entre le caractère mondial de la production et les limites de l’Etat-nation qui a trouvé sa maligne expression dans deux guerres impérialistes, autant que dans la dégénération stalinienne de la Révolution russe. La tâche consistant à préparer et diriger la classe ouvrière internationale dans la lutte pour surmonter l’impasse du capitalisme dans la période impérialiste est posée avec une urgence croissante et doit être basée sur les fondements du trotskysme et son analyse de l’Union soviétique et du stalinisme.

Notes:

1. In Defense of Marxism (New Park, 1971), p. 79

2. Trotskyism after Trotsky

3. Ibid.

4. Ibid.

5. State Capitalism in Russia

6. Trotskyism after Trotsky

7. Quoted in Trotsky's Marxism (Bookmarks, 1979), pp. 89-90

8. Ibid. p. 90

9. Ibid. p. 94

10. The Revolution Betrayed, pp. 215-16

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