L'élite canadienne mène une campagne anti-Chine à propos du coronavirus

Les politiciens, ex-diplomates et universitaires canadiens jouent un rôle de premier plan dans une campagne internationale visant à faire porter le blâme à la Chine pour la pandémie mondiale de coronavirus. Cette initiative réactionnaire a un double objectif: détourner l'attention du public de la réaction désastreuse des gouvernements capitalistes occidentaux à la pandémie, eux qui ont manifestement privilégié le profit des investisseurs au détriment des vies humaines; et étendre encore le partenariat militaro-stratégique de l'impérialisme canadien avec Washington en préparation de l'intensification du conflit, y compris la guerre, avec la Chine.

Le président américain Donald Trump a ouvert la voie cette semaine avec ses dénonciations de la Chine, accusant Pékin de ne pas avoir informé la communauté internationale assez rapidement à propos du coronavirus. Trump a également soutenu des théories du complot selon lesquelles le virus aurait été libéré par un laboratoire chinois à haute sécurité et a accusé l'Organisation mondiale de la santé (OMS) d'être sous la coupe de Pékin. Il a utilisé cette dernière affirmation pour justifier sa décision criminelle de suspendre les contributions de Washington à l'OMS en pleine pandémie: une décision qui met en danger la vie de millions de personnes dans le monde.

Quelques heures avant que Trump ne lance son attaque contre l'OMS, l'Institut Macdonald-Laurier (IML), un groupe de réflexion basé à Ottawa et étroitement lié aux milieux politiques canadiens, a publié une lettre ouverte affirmant que «la crise mondiale actuelle a été causée par le régime (chinois).» La lettre, signée par des politiciens de droite d'Europe de l'Est et de Grande-Bretagne et par des dizaines de soi-disant experts de la Chine, a été publiée par l’IML en collaboration avec la Henry Jackson Society, basée à Londres et connue pour ses liens avec les services de renseignement américains, et le European Values Center for Security Policy, basé à Prague. Il a qualifié le coronavirus de «moment Tchernobyl» pour la Chine, ajoutant: «Les racines de la pandémie se trouvent dans une dissimulation par les autorités du PCC (Parti communiste chinois) à Wuhan.»

Il y a sans doute des critiques à faire sur la réponse de Pékin au coronavirus. Mais la réalité est que c'est la négligence criminelle des grandes puissances impérialistes, y compris le Canada, qui est responsable d'une pandémie – à la fois prévisible et prévue depuis longtemps – ayant un impact catastrophique sur la vie et les moyens de subsistance des travailleurs en Europe et en Amérique du Nord.

Si la pandémie s'est propagée si rapidement, c'est parce que l'administration Trump, le gouvernement libéral de Trudeau et les puissances européennes n'ont pas réagi en temps voulu aux alertes lancées plus tôt par la Chine et l'OMS. Les autorités chinoises ont publié le séquençage complet du virus le 13 janvier, deux semaines seulement après que les premiers cas d'une maladie pulmonaire inconnue aient été signalés à l'OMS. Bien que des cas aient été signalés dans plus d'une douzaine de pays à la fin du mois, les gouvernements Trudeau et Trump ont continué tout au long du mois de février à minimiser la menace d'une pandémie.

Ce n'est que lorsqu'il est apparu clairement en mars que le coronavirus se propageait de manière incontrôlée en Amérique du Nord, et qu'un certain nombre de grèves et de protestations des travailleurs réclamant plus de protection sur leur lieu de travail ont éclaté, qu'Ottawa et Washington ont adopté des mesures de distanciation sociale et que les provinces canadiennes et les États américains ont commencé à ordonner des fermetures d'écoles, étendues ensuite aux entreprises «non essentielles.» Cependant, ni Ottawa ni Washington n'ont fait d'investissements d'urgence pour renforcer les systèmes de santé délabrés et surchargés de leur pays, ni même quelque chose de comparable aux ressources mobilisées en Chine, où de nouveaux hôpitaux ont été construits en quelques jours pour soigner les malades.

Dès que la lettre ouverte a été publiée, le chef intérimaire du Parti conservateur Andrew Scheer, les deux principaux candidats à sa succession, Peter MacKay et Erin O'Toole, et le porte-parole conservateur à la défense James Bezan se sont empressés de la signer. Dès le début, l'un des principaux promoteurs de la lettre a été l'ancien ministre libéral de la justice, Irwin Cotler. Deux jours avant le lancement officiel de la lettre ouverte, un article que Cotler a coécrit avec son ancien chef de cabinet et co-signataire de la lettre, Judith Abitan, est paru dans le Times of Israel, sous le titre «La Chine de Xi Jinping a fait cela.»

Ces personnalités de droite tentent d'utiliser la pandémie comme prétexte pour intensifier une campagne anti-Chine de longue date qui est intimement liée à la politique agressive de l'administration Trump contre Pékin, mais qui bénéficie d'un large soutien bipartite à Washington et de plus en plus au Canada.

C'est ce que souligne une interview du secrétaire d'État américain Mike Pompeo, qui est parue cette semaine dans le Toronto Sun. Pompeo a décrié la façon dont la Chine traite le coronavirus, avant de s'attaquer à ce qui le préoccupe vraiment. Il a exhorté le Canada à suivre l'exemple «l’Amérique d’abord» de Trump et à réduire sa dépendance aux chaînes d'approvisionnement qui ont recours à la production chinoise.

Il a ensuite abordé la question de l'implication du géant technologique chinois Huawei dans le réseau 5G du Canada. «Nous pensons que l'installation d'équipements Huawei dans l'infrastructure de télécommunications d'un pays présente un risque énorme pour la sécurité nationale», a-t-il déclaré. «C'est une entité contrôlée par le gouvernement chinois.» Pompeo a poursuivi en avertissant que les États-Unis ne transféreraient des renseignements à leurs alliés que par le biais de réseaux qu'ils savent «sûrs», une répétition implicite de la menace de réduire le partage de renseignements entre les États-Unis et le Canada si Ottawa n'exclut pas Huawei du réseau 5G du Canada.

Alors que le gouvernement Trudeau a retardé à plusieurs reprises la prise d’une décision finale à propos d’Huawei, il s'est constamment aligné derrière l'offensive économique et militaro-géostratégique toujours plus agressive de Washington contre Pékin. En 2017, le gouvernement libéral a déclaré que la Chine était l'une des principales «menaces mondiales» auxquelles le Canada serait confronté au XXIe siècle, aux côtés de la Russie, en annonçant des plans visant à augmenter les dépenses militaires de plus de 70% d'ici 2026.

Les libéraux, avec le soutien essentiel des syndicats, ont également négocié une version actualisée de l'Accord de libre-échange nord-américain avec Trump afin de consolider l'Amérique du Nord en tant que bloc de guerre commerciale dominé par les États-Unis contre la Chine et les autres rivaux étrangers des impérialismes américain et canadien. Le gouvernement Trudeau a également supervisé l'expansion de la participation des forces armées canadiennes à l’augmentation provocatrice de la présence militaire des États-Unis dans la région Asie-Pacifique.

De plus, Trudeau a personnellement approuvé l'arrestation et la détention par la GRC, en décembre 2018, de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, à la demande de Washington, sous de fausses accusations de violation des sanctions économiques illégales contre l'Iran.

Soulignant la détermination de Trudeau à préserver à tout prix le partenariat stratégique de l'impérialisme canadien avec Washington, le premier ministre a délibérément évité de critiquer la décision criminelle de Trump de suspendre le financement de l'OMS. Au lieu de cela, il a prononcé une phrase insignifiante sur la détermination du Canada à promouvoir la collaboration internationale dans la lutte contre le virus. Le ministre du Développement international, une figure de second plan au sein du gouvernement, a dû noter docilement la «déception» du Canada face à la décision de la Maison-Blanche.

Malgré l'engagement ferme du gouvernement Trudeau en faveur du partenariat stratégique Canada-États-Unis, de fortes divergences persistent au sein de la bourgeoisie canadienne sur sa politique à l'égard de la Chine. Le soutien de pratiquement tous les dirigeants de l'opposition officielle à la lettre ouverte fustigeant Pékin fait partie d'une campagne d'agitation anti-Chine de longue date qui a également visé l'échec supposé du gouvernement libéral à adopter une position dure envers Pékin.

Avant les élections fédérales de l'année dernière, Scheer a prononcé un discours de politique étrangère, reçu avec enthousiasme dans les cercles dirigeants, qui appelait à une «remise à zéro totale» des relations entre le Canada et la Chine. Il a exigé qu'Ottawa se retire de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, dirigée par la Chine; il s'est engagé, à la Trump, à déposer une plainte contre Pékin à l'Organisation mondiale du commerce pour «pratiques commerciales déloyales»; et il a promis que le Canada, sous un gouvernement conservateur, rejoindrait le bouclier de défense contre les missiles balistiques dirigé par les États-Unis. Le but de ce «bouclier» est de permettre à l'impérialisme américain de mener une guerre «gagnable» contre ses rivaux nucléaires, surtout la Russie et la Chine. (voir: «Le chef du Parti conservateur du Canada présente un programme économique et de politique étrangère de droite»)

Dès les premiers stades de la pandémie de coronavirus, les conservateurs et leurs complices dans les médias de droite comme le National Post ont cherché à fomenter un sentiment anti-chinois dans leurs critiques du gouvernement Trudeau. Bien qu'ils se soient insurgés contre le gouvernement Trudeau pour ne pas s'être joints à Trump pour imposer une interdiction des voyageurs en provenance de Chine à la fin janvier, ils ont, bien entendu, scrupuleusement évité de mentionner les politiques d'austérité, menées par les gouvernements fédéral et provinciaux de toutes tendances depuis des décennies, qui ont ravagé le système de santé et l'ont laissé totalement dépourvu face à la pandémie. Ils n'ont pas non plus évoqué le fait étonnant que le gouvernement fédéral n'ait pris la peine d'écrire aux provinces que le 10 mars, plus de deux mois après que la Chine eut notifié le virus à la communauté internationale, pour s'enquérir de leurs stocks de fournitures médicales et des éventuelles pénuries.

(Article paru en anglais le 18 avril 2020)

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