Le premier ministre Justin Trudeau et les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux du Canada ont convenu, lors d’une réunion en ligne des premiers ministres vendredi dernier, d’élaborer des lignes directrices nationales pour rouvrir les services et les secteurs économiques qui ont été fermés en mars afin d’arrêter la propagation de la COVID-19. L’annonce souligne que le gouvernement libéral fédéral de Trudeau – en collaboration avec les premiers ministres de droite de l’Ontario, du Québec, de la Saskatchewan et de l’Alberta – pousse pour une «réouverture» précipitée de l’économie qui va précipiter une escalade rapide de la pandémie de COVID-19 et entrainer des dizaines de milliers de décès supplémentaires.
Les infections augmentent déjà rapidement dans tout le pays en dépit des mesures de distanciation sociale mises en place. Le nombre total de cas de la COVID-19 a dépassé 48.500, avec plus de 2700 décès.
Lors de sa conférence de presse quotidienne vendredi, Trudeau a déclaré: «Dans les mois à venir, nous serons en mesure d’assouplir un certain nombre de restrictions et de règles que nous avons actuellement sur la mobilité des personnes, dans certains secteurs [et] sur l’économie». Deux jours plus tôt, il avait ajouté que son gouvernement reconnaissait que «les différentes provinces prendront des décisions différentes sur comment et où procéder au redémarrage et à la réouverture de leurs économies.»
En d’autres termes, le gouvernement Trudeau donne un chèque en blanc aux premiers ministres du Québec François Legault, de l’Ontario Doug Ford, de l’Alberta Jason Kenney et de la Saskatchewan Scott Moe, qui poussent à la réouverture de leur économie avec un mépris criminel de la vie des travailleurs et de leur famille. La Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard ont déjà présenté des plans pour réduire les mesures de distanciation physique et permettre la réouverture des entreprises.
C’est certainement le message reçu par Legault, qui s’est senti encouragé jeudi dernier à fanfaronner sur l’adoption par son gouvernement d’une politique d’«immunité collective» qui entraînerait une hausse fulgurante des décès. «Cela peut paraître effrayant, mais lorsque les Québécois comprendront le concept d’immunité collective, ils verront que c’est la meilleure façon de se sortir de la pandémie actuelle, a fait remarquer Legault. Le concept d’immunité naturelle, ce n’est pas une question de prendre les enfants comme des cobayes. C’est de dire: les personnes les moins à risque, donc les personnes de moins de 60 ans, bien, il peut y avoir une immunité naturelle qui va empêcher une vague…»
Faisant suite à ses déclarations, Legault a présenté lundi un plan visant à rouvrir les écoles et les garderies de la province à partir du 11 mai.
Ce plan, qui est très largement motivé par le désir de faciliter le retour des parents dans des lieux de travail dangereux, menace la vie des élèves, des enseignants, du personnel de soutien et de leurs familles. Le Québec a enregistré un peu moins de 25.000 cas de COVID-19, mais il y a eu plus de 1590 décès.
Dans la province voisine de l’Ontario, le premier ministre populiste de droite Ford a fait en sorte que la majeure partie du secteur manufacturier puisse rester ouvert pendant toute la durée du confinement en le déclarant «service essentiel». Cela a conduit à la situation absurde où même des articles de luxe, comme les jacuzzis, sont produits en pleine pandémie. Les principales usines automobiles de la province, qui emploient collectivement des dizaines de milliers de travailleurs, devraient commencer à rouvrir la semaine prochaine.
Pendant ce temps, la pandémie continue de se propager de façon largement incontrôlée. Dimanche, le nombre d’infections en Ontario était de plus de 14.400. Avec 24 nouveaux décès, le nombre de victimes est passé à 835. L’incapacité à maîtriser le virus a contraint le ministre de l’Éducation Stephen Lecce à annoncer plus tard dans la journée que le système scolaire public de la province resterait fermé au moins jusqu’au 31 mai.
L’Ontario et le Québec ont également été contraints de faire appel au soutien de près de 1500 militaires des Forces armées canadiennes pour aider à remédier aux conditions catastrophiques dans les établissements de soins de longue durée.
Mais Ford et ses sbires de droite ne sont pas prêts à laisser une pandémie enragée entraver les profits des entreprises. Vendredi, Ford a déclaré qu’il présenterait au cours de la semaine un plan pour «rouvrir l’économie de l’Ontario». Soulignant que sa principale préoccupation sera d’accroître les bénéfices des entreprises, il a ajouté: «Les entreprises de l’Ontario paient un prix très, très élevé pour faire passer leurs citoyens et leurs communautés en premier.»
Sa tentative cynique de se faire passer pour un défenseur des petites entreprises en difficulté à cause de la fermeture est une fraude. La réalité est que les travailleurs et les propriétaires de petites entreprises ont du mal à joindre les deux bouts, non pas à cause de la fermeture, mais parce que l’élite au pouvoir a mené une politique économique visant à renflouer les banques et les super-riches, et en offrant le strict minimum à tous les autres.
Le gouvernement fédéral, avec le soutien de tous les partis d’opposition, y compris le NPD, a versé au moins 650 milliards de dollars dans les coffres des banques et des marchés financiers, alors que seule une infime partie de cette somme a été mise de côté pour l’aide financière aux travailleurs et à leurs familles. La principale mesure de sauvetage du gouvernement, la Prestation d’urgence du Canada, est déjà sur le point de manquer de fonds, moins de deux mois après son entrée en vigueur, alors que le nombre de demandeurs est de plus de sept millions.
Les politiques menées par les gouvernements provinciaux sont essentiellement du même type. Le gouvernement conservateur uni de Jason Kenney en Alberta a fourni des milliards de dollars pour soutenir les grandes sociétés pétrolières et énergétiques de la province, tandis que les petites entreprises et les travailleurs luttent pour leur survie. Lors d’une émission diffusée en direct sur Facebook jeudi dernier, Jason Kenney, qui a imposé des milliards de dollars en mesures d’austérité pour financer une réduction de quatre points de pourcentage de l’impôt sur les sociétés, a déclaré cyniquement: «Le gouvernement de l’Alberta n’a pas suffisamment de pouvoir fiscal pour protéger tout le monde contre l’adversité économique que nous traversons.»
La détermination de Trudeau, Legault, Ford et compagnie à faire avancer la réouverture de l’économie n’a rien à voir avec des conseils médicaux ou scientifiques. En fait, pratiquement tous les experts s’accordent à dire que le fait de réduire la distance physique et de permettre la réouverture des entreprises déclenchera une recrudescence des infections, à laquelle le système de santé canadien, déjà surchargé, aura du mal à faire face. Cette poussée est plutôt motivée par le désir de permettre à l’élite entrepreneuriale d’intensifier l’exploitation de la classe ouvrière pour carrément mettre sur son dos tout le fardeau du renflouement des banques et des grandes entreprises, un fardeau s’élevant à plusieurs milliards de dollars.
Le caractère criminellement irresponsable de la campagne de retour au travail a été souligné samedi, lorsque même le médecin en chef du gouvernement fédéral, Theresa Tam, s’est sentie obligée de lancer un avertissement sur l’assouplissement des fermetures. «L’idée de ...générer une immunité naturelle n’est en fait pas quelque chose qui devrait être entrepris.» Faisant référence à l’affirmation de Legault selon laquelle les groupes de population à faible risque pourraient être autorisés à être infectés afin d’acquérir une «immunité collective», Tam a ajouté: «Même une jeune personne pourrait tomber gravement malade ou devoir aller à l’unité des soins intensifs, donc ce n’est pas un concept qui devrait être soutenu».
Les remarques de Tam reflètent les tensions croissantes entre les professionnels de la santé et les besoins prédateurs des grandes entreprises canadiennes. Comme leurs homologues partout ailleurs dans le monde, les élites politiques et financières du Canada font passer en priorité les profits des entreprises et la richesse des super-riches plutôt que la vie humaine.
Le médecin spécialisé en maladies infectieuses Isaac Bogoch, de l’hôpital général de Toronto, s’est élevé en fin de semaine contre l’affirmation selon laquelle les personnes qui se sont remises de la COVID-19 pourraient se voir délivrer des passeports d’immunité. Cette suggestion est fréquemment citée par les partisans de la réouverture de la vie sociale et économique dans le cadre d’une stratégie d’«immunité collective». «Avec les données dont nous disposons aujourd’hui, il n’est tout simplement pas responsable de penser que si vous avez un test d’anticorps, cela signifie que vous êtes immunisé et que vous pouvez vous réintégrer en toute sécurité dans un lieu de travail ou un endroit où les gens se rassemblent», a commenté Bogoch. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), a averti à plusieurs reprises que les preuves manquent pour savoir si les gens sont immunisés après avoir récupéré d’une infection de la COVID-19, ou combien de temps cette immunité peut durer.
Les lieux de travail qui sont restés ouverts sont devenus des centres de contagion du virus, comme le montrent les épidémies massives parmi les travailleurs des établissements de soins de longue durée, des usines de conditionnement de la viande et de la volaille en Alberta et en Colombie-Britannique, et des camps de travail du pétrole en Alberta. Néanmoins, les syndicats, avec à leur tête Unifor dans l’industrie automobile, travaillent main dans la main avec les grandes entreprises pour ramener les travailleurs au travail le plus rapidement possible.
(Article paru en anglais le 28 avril 2020)
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