Suivant les traces de l’administration Trump et de l’Union européenne, le premier ministre du Québec François Legault a annoncé cette semaine la réouverture des garderies et des écoles primaires, ainsi que la reprise des activités dans le commerce de détail, la construction et l'industrie manufacturière.
Le gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) balaye ainsi les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a prévenu à maintes reprises qu’une réouverture prématurée de l’économie risquait de créer une nouvelle vague, encore plus meurtrière, de contamination au COVID-19.
L’opposition à la réouverture des écoles, en particulier, est vive parmi le personnel scolaire. Nombreux sont les travailleurs à avoir exprimé leur colère sur les réseaux sociaux, pointant du doigt les motifs réels de cette décision, à savoir de permettre aux banques et aux grandes entreprises de reprendre leurs activités et accroître leur richesse.
Comme l’a écrit une enseignante de Montréal au World Socialist Web Site: «On nous envoie faire du gardiennage pour permettre au patronat de se faire du profit sur le dos de la population... Et on s’entend que ces grands patrons-là, ils n’attraperont rien dans leur tour d’ivoire.»
Une autre a expliqué: «En tant qu’enseignante, jamais il n’avait été envisagé que je devais remettre ma vie entre les mains des autorités gouvernementales pour qu’elles fassent de moi un "rat de laboratoire", confinée au silence sous peine de représailles».
Une troisième pouvait à peine retenir sa colère: «J’écris cette tirade car je suis insultée et furieuse... On me retourne au travail sans équipement [de protection], pour garder des enfants, pour repartir l’économie.»
On pourrait poursuivre ainsi longuement, mais citons en terminant ce commentaire d’une enseignante: «Maintenant quoi? Je me sacrifie pour un gouvernement qui n’a aucune considération pour ma vie? Je participe à une mascarade qui place mes élèves et leur famille en danger?»
C’est, par contre, avec un débordement d’enthousiasme que la grande entreprise a accueilli la reprise des activités économiques non-essentielles. Le président du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval, a fait savoir que «la réouverture … des écoles primaires et des garderies» était «une bonne nouvelle», tout en dévoilant le secret de polichinelle qui se cache derrière cette décision avec son affirmation que «plusieurs parents-travailleurs pourront profiter de cette réouverture».
Pour justifier un retour précipité au travail qui menace des milliers de vies, le premier ministre Legault ne met plus de l’avant son «concept d’immunité naturelle», en raison du tollé qu’a suscité son évocation de cette stratégie meurtrière jeudi passé. Il se rabat maintenant sur l’argument cynique que la réouverture des écoles serait nécessaire pour la «santé mentale» des enfants.
L’affirmation du gouvernement Legault que la pandémie serait «sous contrôle» au Québec est un autre mensonge éhonté. La province est toujours officiellement, et de loin, la plus durement touchée par le coronavirus au Canada, avec un nombre de décès qui s’élevait à 1761 mardi, une hausse de 162 en 48 heures.
Bien que les personnes âgées de plus de 70 ans représentent une vaste majorité des décès, il est faux de prétendre, comme le fait le premier ministre Legault, que les impacts sont minimes chez les plus jeunes. En fait, le virus a fait des victimes dans toutes les tranches d’âge. Lundi, une préposée aux bénéficiaires dans la trentaine est décédée après avoir contracté le virus dans une résidence pour personnes âgées où elle travaillait.
Le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, a dû reconnaître que la réouverture des entreprises et des écoles était un «pari risqué». Il a défendu cette décision sur la base qu’il fallait trouver un «équilibre» entre «l’économie, l’argent, la santé mentale». Il a cherché du même coup à habituer la population à la mort à grande échelle: «C’est clair qu’il va y avoir de la transmission. Il y aura des gens hospitalisés. J’espère que pas trop de gens vont mourir.»
Même en ouvrant des classes de quinze élèves, le gouvernement sait très bien que les mesures de distanciation sociale et autres mesures sanitaires seront impossibles à faire respecter. La situation sera encore pire dans les garderies. D’autant plus que l’accès aux équipements de protection individuels (EPI) sera minimal ou inexistant dans un contexte de pénurie généralisée.
Seuls les travailleurs en service de garde d’urgence auront droit aux EPI. Le reste des employés comme les enseignants et les professionnels n’y auront pas droit d’emblée. Legault a osé dire en entrevue que les enseignants n’avaient qu’à se mettre un foulard! La direction de la santé publique a établi que si un enfant est déclaré positif à la COVID-19 dans une école, celle-ci doit rester ouverte: il serait «possible» que la classe soit fermée pour 14 jours.
Le gouvernement indique donc clairement qu’il n’appliquera aucune des mesures nécessaires pour combattre sérieusement le coronavirus – dépistage de masse, traitement et isolement des personnes infectées, retraçage des contacts, investissement massif dans le système de santé pour répondre à un pic de demande.
Quant à la position des syndicats sur la reprise des activités économiques non-essentielles, elle dévoile encore plus clairement que ce sont les agents politiques du grand patronat au sein de la classe ouvrière.
La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la plus importante centrale syndicale de la province a dit accueillir «positivement» le «plan de relance économique». Le président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Sylvain Mallette, a affirmé quant à lui que «nous ne sommes pas opposés à l’idée de rouvrir graduellement les établissements scolaires».
Dans le sillage de leurs décennies de sabotage des luttes ouvrières pour permettre à la grande entreprise de s’enrichir en baissant les salaires, en empirant les conditions de travail et en démantelant les services publics tels que la santé, les chefs syndicaux québécois avaient chaudement accueilli l’arrivée au pouvoir en octobre 2018 du gouvernement populiste de droite de François Legault. Ils parlaient même d’une période de «lune de miel» avec ce millionnaire et ex-PDG d’Air Transat qui a bâti toute sa carrière politique en préconisant plus de privatisations, de coupes budgétaires et de baisses d’impôts pour les riches.
Dès le début de la pandémie, les chefs syndicaux ont offert leur «pleine et entière collaboration» au gouvernement Legault, acceptant de mettre les négociations collectives du secteur public sur la glace. Lorsque le gouvernement en a profité pour tenter de forcer la signature d’ententes au rabais, les syndicats ont accepté de négocier de manière accélérée dans le dos des travailleurs. C’est cette capitulation syndicale qui permet aujourd’hui au premier ministre le plus ouvertement à droite de l’histoire récente du Québec de prendre la posture du «bon père de famille» en temps de crise.
Les syndicats envoient maintenant leurs membres affronter la pandémie, sans protection adéquate, pour permettre à l’élite financière et patronale de renflouer ses coffres – même si celle-ci s’est déjà fait offrir plus de 600 milliards de dollars en plans de sauvetage par Ottawa et les provinces. Le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, faut-il également noter, a donné le feu vert aux efforts de Legault et d’autres premiers ministres provinciaux, tels que Doug Ford en Ontario et Jason Kenney en Alberta, pour forcer un retour précipité au travail.
La contestation au Québec fait partie d’une opposition croissante à la relance de l’économie au détriment de la vie humaine parmi les travailleurs dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde. En Ontario, des employés des transports, des postes et de l’automobile ont refusé de travailler en raison des mesures sanitaires insuffisantes. Aux États-Unis et en Europe, des travailleurs d’Amazon, des services de livraison et des transports ont également protesté contre un manque de protection qui menaçait leur santé et leur vie.
Les travailleurs doivent s’opposer énergiquement aux efforts de Legault et de l’élite dirigeante canadienne pour relancer la production au risque de milliers de vies humaines. Sur tous les lieux de travail, il faut bâtir des comités de la base, indépendants des syndicats pro-capitalistes, qui lutteront pour garantir l’arrêt de toute production non-essentielle, des conditions de travail sécuritaires pour les travailleurs de la santé et autres employés essentiels, et une pleine sécurité de revenu pour les travailleurs mis à pied.