Alors que les sociétés et les gouvernements ne font rien pour rapatrier les employés

Les travailleurs sur les navires de croisière passent à l’action malgré les menaces des entreprises

Le vendredi 15 mai, les membres de l'équipage à bord du Majesty of the Seas de la Royal Caribbean Cruise Line (RCCL) ont organisé une manifestation sur le pont supérieur du navire, exigeant du capitaine des réponses quant au moment où ils pourraient retourner chez eux.

La manifestation a eu lieu au milieu d'une crise dans l'industrie des croisières, alors que quelque 200.000 travailleurs à travers le monde sont coincés en mer en raison de la réaction de leurs employeurs, ainsi que des gouvernements mondiaux, à la pandémie de coronavirus. Comme l'a rapporté le WSWS la semaine dernière, un pourcentage élevé de ces membres d'équipage ont maintenant dépassé leur 70e jour en mer, beaucoup sans salaire, et certains ont été mis en quarantaine dans des pièces sans lumière du soleil ni air frais et avec un contact minimal avec le monde extérieur.

La protestation sur le Majesty a fait suite à une grève de la faim de membres de l'équipage du Navigator of the Seas de la RCCL, qui a débuté le 7 mai et au cours de laquelle 15 travailleurs roumains ont refusé de manger jusqu'à ce que l'entreprise leur garantisse le retour chez eux. Un travailleur en grève, s'adressant anonymement au Miami Herald, a déclaré: «Nous avons commencé cette grève de la faim parce que quelqu'un doit faire quelque chose. [...] Il s'agit de notre santé mentale. Le niveau de santé mentale est en chute.»

Le travailleur a fait sa déclaration dans le contexte d'un incident survenu le 30 avril sur le Jewel of the Seas du RCCL, au cours duquel un membre d'équipage a sauté par-dessus bord après être resté coincé sur le navire depuis le début de la pandémie. Depuis le reportage initial du Herald, un autre membre de l'équipage est mort en sautant par-dessus bord sur le Regal Princess, un suicide a été confirmé sur le Carnival Breeze, ainsi que plusieurs décès non liés au COVID-19 sur d'autres navires, dont on soupçonne largement qu'il s'agit également de suicides.

Les manifestants sur le Majesty ont brandi des pancartes disant «Combien de suicides encore faut-il?» et «Dormez-vous bien, M. Bayley?» Cette dernière pancarte fait référence à Michael Bayley, le PDG de RCCL, dont les porte-parole, dans des déclarations antérieures au Miami Herald, se sont plaints que les coûts de rapatriement des équipages étaient «trop chers.»

La direction du navire Majesty of the Seas a déjà pris des mesures contre ces manifestants. Un travailleur actuellement à bord a rapporté à «crew-center.com» que les forces de sécurité du Majesty ont téléphoné aux cabines individuelles des membres d'équipage en donnant les noms des manifestants à tous les autres membres d'équipage, comme une tactique d'intimidation. «Il s'agit de représailles graves et cela va à l'encontre des droits de l'homme, car nous avons tous, en tant que personnes libres, le droit de donner notre avis», a expliqué le travailleur. «Nous voulons juste que le monde nous entende, parce que nous voulons tous être chez nous avec nos familles.»

Un autre travailleur à bord du Majesty a parlé au WSWS de manière anonyme, également par crainte de représailles de la part de RCCL. «C'était une manifestation pacifique pour exprimer notre malaise et notre mécontentement à l'égard de notre entreprise», a déclaré le travailleur. «Mais ici, à bord, le courage n'est pas une bonne chose: les gens sont étiquetés comme des fauteurs de troubles à cause de cela. Si vous vous démarquez de la foule et que vous n'êtes pas aussi obéissant que prévu, alors vous êtes un problème.»

Gan Sungaralingum, originaire de l'île Maurice, spécialiste des montres pour les boutiques de bord sur le Island Princess coincé en mer, a parlé au WSWS des conditions auxquelles sont confrontés les membres d'équipage dans le monde entier. «Dans cette situation, tout le monde devrait être chez lui. La plupart des marins subviennent aux besoins de leur famille. En ce moment, ils devraient être avec leur femme, leur mari, leurs fils et leurs filles.»

Sungaralingum a enchainé: «Les gouvernements et l'industrie des croisières sont tous responsables de cette situation. Les autorités, par exemple, comme le CDC [Centers for Disease Control and Prevention], autorisent les navires à venir dans leurs eaux pour y chercher du carburant et des provisions, mais peu d'agences gouvernementales coordonnent une action visant à faire revenir leurs propres ressortissants le plus rapidement possible. Au lieu de cela, ils ne font qu'émettre des directives aux compagnies de croisières et empêchent donc encore plus leurs propres citoyens de rentrer chez eux. En réponse, les compagnies de croisières trouvent des solutions vraiment détournées pour le rapatriement de leur équipage plutôt que de se conformer aux directives et d'engager des dépenses.»

Un exemple de ces directives est celle émise par la garde-côtière américaine début avril, en collaboration avec le CDC, interdisant aux voyageurs des bateaux de croisière de monter à bord des vols commerciaux. En lieu et place, les entreprises seraient tenues d'affréter des moyens de transport privés pour leurs employés qui rentrent chez eux, aux frais de l'entreprise.

«Ma petite amie est une citoyenne japonaise. Nous étions ensemble sur le Sky Princess à l’origine, puis nous avons été séparés – ils l'ont mise sur le Emerald Princess après mon arrivée ici sur le Island Princess», explique Sungaralingum. «Elle est maintenant à la Barbade où le navire attend d'autres membres d'équipage coincés, et on estime qu'elle ne rentrera pas chez elle avant juillet. Au lieu de dépenser l'argent pour que l'équipage puisse rentrer directement chez lui, les compagnies menacent l'équipage pour avoir parlé à la presse. Pendant ce temps, nous sommes vidés mentalement et émotionnellement. Renvoyez-nous chez nous.

«Lorsque la pandémie a frappé au début du mois de mars, toutes les frontières étaient ouvertes. Il y a eu une période pendant laquelle tout le monde aurait pu être renvoyé chez lui en toute sécurité et à peu de frais. Au lieu de cela, les entreprises n'ont renvoyé chez eux que les travailleurs dont les contrats arrivaient bientôt à terme, tout en gardant tous les autres à bord. Chaque compagnie de croisière a alors rassuré tout le monde: "OK, nous nous efforçons de vous ramener chez vous rapidement", jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

«Les compagnies ont essayé de couvrir leurs traces en donnant aux membres d'équipage coincés de la bonne nourriture et en les installant dans de belles cabines de passagers. Elles essaient d'aveugler tout le monde, mais elles avaient déjà échoué dès le début.»

Depuis près de deux mois, les membres d'équipage de toutes les nationalités rencontrent obstacle après obstacle pour rentrer chez eux. Entre les politiques manifestement irresponsables des compagnies en ce qui concerne le maintien du personnel des navires pendant la période initiale, les négociations entre les entreprises et les autorités portuaires en termes de frais de rapatriement, et le refus catégorique des gouvernements du monde entier de lutter pour les droits fondamentaux de leurs citoyens, la situation à laquelle sont confrontés les travailleurs des navires est le résultat de l'incapacité du système capitaliste à pourvoir aux besoins fondamentaux de la population mondiale.

En parlant de la grève de la faim des travailleurs du Navigator of the Seas, Sungaralingum a déclaré: «Beaucoup de gens ont tendance à résister à la lutte par crainte pour leurs moyens de subsistance. Mais nous n'avons pas besoin de craindre maintenant parce que le monde change. Si nous restons dans ces vieilles habitudes, rien ne s'améliorera jamais, nous devons donc entendre la voix de chacun. Les personnes qui ont peur des représailles et qui ne se mettent pas au travail doivent savoir que si vous restez silencieux, nous allons tous souffrir. Tout le monde doit s’impliquer.»

(Article paru en anglais le 19 mai 2020)

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