Éric Duhaime, son PCQ et le tournant prononcé de la classe dirigeante québécoise vers la réaction

Depuis qu'il a été élu chef du Parti conservateur du Québec (PCQ) en avril 2021, le libertaire de droite Éric Duhaime a reçu énormément de couverture dans les grands médias et d’attention parmi les gens d’affaires.

À moins de cinq mois des élections provinciales, des sondages placent le PCQ devant les deux partis traditionnels de gouvernement de la classe dirigeante, le Parti libéral et le Parti québécois (PQ). Son chef Duhaime a été reçu par des associations patronales, notamment le Conseil du patronat du Québec, aux côtés d’autres chefs de parti. Et les réseaux de télévision ont déjà fait savoir qu’il sera invité au débat des chefs lors des élections québécoises de cet octobre.

Pourtant son parti n’a jamais dépassé la barre des 5% aux élections précédentes, ni gagné une seule circonscription. Le PCQ est représenté à l'Assemblée nationale par une seule députée, elle-même une transfuge de la Coalition Avenir Québec (CAQ) au pouvoir.

Éric Duhaime en 2012 (Wikipedia)

L’engouement médiatique pour Duhaime peut être compris en examinant le programme très à droite qu’il a prôné pendant des années comme animateur de radio-poubelle à Québec et qu’il projette maintenant avec tout autant de virulence en tant que chef du PCQ.

Ce ne sera pas la première fois que l’élite dirigeante utilise une personnalité ultra-réactionnaire pour pousser tout l’axe de la politique résolument à droite.

Duhaime a affiché une opposition véhémente aux mesures sanitaires visant à contrer la pandémie de COVID-19 qui a fait des ravages au Québec, dans le reste du Canada et partout dans le monde. Ayant dénoncé dès le début tout effort pour freiner la pandémie, il a accueilli avec enthousiasme le «convoi de la liberté», un groupe de camionneurs-propriétaires d'extrême-droite, soutenu par le Parti conservateur du Canada, qui a terrorisé les habitants d'Ottawa pendant des semaines afin de réclamer la fin de toutes mesures sanitaires.

Duhaime avait dit à ce moment: «Mon but, c’est de faire entrer ces idées-là au Salon bleu, à l’Assemblée nationale». Duhaime est un ami et proche collaborateur de longue date de Pierre Poilievre, le candidat à la chefferie du Parti conservateur du Canada qui a débuté sa campagne comme un fervent partisan du convoi d'extrême-droite et de l'abolition de toutes mesures sanitaires, tout en préconisant des mesures extrêmes d’austérité. Adoptant le langage de Margaret Thatcher en faveur du capitalisme prédateur, Poilievre a promis de faire du Canada le pays le plus «libre» au monde.

Le PCQ, maintenant sous la coupe de Duhaime, prône également une réduction massive des dépenses sociales; une accélération des mesures de déréglementation; une privatisation accrue, notamment en santé et en éducation; et de fortes baisses d'impôts pour les riches, notamment l’instauration d’un taux d'imposition unique.

Duhaime navigue depuis longtemps dans les milieux de droite. Conseiller politique pour le chef du Bloc québécois de 1993 à 1999, il a commencé sa carrière chez les indépendantistes québécois, alors que ceux-ci sabraient dans les dépenses sociales, notamment en santé et en éducation.

De 2000 à 2002, il a été conseiller du chef de l'opposition officielle, Stockwell Day, de l'Alliance canadienne, un parti qui a été utilisé pour pousser la politique canadienne encore plus à droite et était l’élément dominant dans la fusion avec les progressistes conservateurs qui a donné naissance à l’actuel Parti conservateur ultra-droitier.

Duhaime a été candidat pour l'Action démocratique du Québec en 2003 – Poilievre avait activement fait campagne pour lui – avant de devenir conseiller politique pour l'ADQ de 2003 à 2008. L'ADQ est un parti qui a joué un rôle très important pour attiser le chauvinisme anti-immigrants, notamment autour de la question des «accommodements déraisonnables».

Au Maroc, de 2005 à 2007, et en Irak, de 2008 à 2009, Duhaime a œuvré pour le National Democratic Institute (NDI) – une agence de l’impérialisme américain associée au Parti démocrate, qui travaille en étroite collaboration avec la CIA et le Département d’État américain. Le NDI a compté parmi son conseil d'administration des figures de proue du militarisme américain telles que Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski, Paul Wolfowitz, Madeleine Albright et Elliott Abrams.

En 2010, Duhaime a fondé le Réseau-liberté-Québec, visant à rassembler des gens de droite. L'un des membres du réseau, le Dr Roy Eappen, est maintenant candidat pour le PCQ. Il est anti-avortement et nie l'effet de l'activité humaine sur les changements climatiques. Encouragé par la réponse anti-scientifique du premier ministre québécois François Legault face à la pandémie, le PCQ encourage toutes sortes de conceptions anti-scientifiques: sur l'avortement, les changements climatiques, la vaccination.

À partir de 2010, Duhaime a été chroniqueur pour des radios et journaux, où il avait toute la latitude pour cracher ses idées réactionnaires, libertariennes et xénophobes. Dans un article généralement sympathique à son égard publié en avril, Duhaime se vante qu'il avait le «micro 4 heures par jour pendant 10 ans».

Pour donner une idée de ses propos, il avait minimisé les gestes haineux qui avaient précédé l'attentat terroriste à la grande mosquée de Québec, qui a fait six morts et une vingtaine de blessés. Il avait tourné en dérision comme une «joke niaiseuse» une tête de porc ensanglantée qui avait été déposée devant la mosquée, comparant cela à quelqu'un qui fait livrer une pizza chez le voisin.

En 2017, lors d'un débat à la radio, Duhaime a défendu le principe aristocratique en suggérant de moduler le droit de vote selon les impôts payés, ce qui donnerait plus de poids aux votes des riches qu’à ceux des pauvres. 

Mais tout l'establishment politique a tellement évolué à droite que les positions de Duhaime ne sont pas si différentes de celles mises de l'avant par les autres partis de classe dirigeante depuis de nombreuses années.

Duhaime dit que les immigrants devraient être sélectionnés en fonction de leur «compatibilité civilisationnelle». Mais en quoi ce chauvinisme est-il différent de la Loi 9 de la CAQ qui choisit les immigrants selon leurs «valeurs»? Ou de sa Loi 21 qui prive de soins de santé les femmes musulmanes portant le voile intégral, elle-même inspirée de la Loi 62 du gouvernement libéral précédent de Philippe Couillard? Ou encore de la défunte «Charte des valeurs» du PQ qui visait à interdire les signes religieux «ostentatoires» dans le secteur public tout en faisant une exception pour les «croix discrètes»?

Duhaime est devenu la coqueluche des médias bourgeois et un moyen de pousser la CAQ à intensifier son assaut sur la classe ouvrière. Des éditorialistes parlent régulièrement de «décisions difficiles» que le prochain gouvernement devra prendre après les élections, c'est-à-dire des attaques renouvelées sur les salaires, les conditions de travail, le niveau de vie et les services publics.

Le «phénomène Éric Duhaime» s’inscrit dans le contexte d'une immense crise du capitalisme mondial, caractérisée par une inflation galopante, la poussée des inégalités sociales, une gestion catastrophique de la pandémie, et la guerre de l'OTAN contre la Russie en Ukraine qui menace de se transformer en conflit nucléaire.

La principale responsabilité pour la dangereuse situation à laquelle est confrontée la classe ouvrière revient à la bureaucratie syndicale qui a étouffé la lutte des classes pendant des décennies.

Alors que l'appui pour les partis traditionnels de la classe dirigeante s'est constamment érodé, les grèves et autres actions de résistance des travailleurs ont été isolées et défaites. Lorsque la classe dirigeante a imposé des lois anti-démocratiques de retour au travail pour casser des grèves militantes, les syndicats, menés par des bureaucrates grassement rémunérés qui acceptent pleinement le «droit» des capitalistes de faire du profit, ont acquiescé.

Quant à Québec Solidaire, le parti de la pseudo-gauche représentant des sections aisées des classes moyennes, il ne critique jamais le rôle traître de la bureaucratie syndicale et ne ménage pas ses efforts pour s’intégrer encore plus profondément dans l’establishment dirigeant.

C'est dans ce climat politique de réaction bourgeoise, qui gagne en intensité à mesure que grandit l’opposition sociale de la classe ouvrière, que des hurluberlus d’extrême-droite comme Duhaime sont promus par la grande entreprise pour tenter de détourner la colère des travailleurs vers les voies les plus réactionnaires.

Loading