La décision de l’ensemble de la liste du Congrès des membres des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) et des représentants soutenus par les DSA d’annuler une lettre adressée à Joe Biden qui appelait à des pourparlers de paix avec la Russie accroît la probabilité d’un conflit direct entre les États-Unis et la Russie et augmente le risque de guerre nucléaire.
Le soutien des DSA à la guerre de l’impérialisme américain contre la Russie en Ukraine ne constitue pas une rupture avec l’histoire des DSA. Au contraire, c’est la plus récente (et la plus dangereuse) itération de l’essence politique pro-impérialiste de l’organisation.
Moins de 24 heures après la publication de la lettre à Biden lundi dernier, le House Progressive Caucus a publié une déclaration qui non seulement annule la lettre, mais appelle à poursuivre la guerre «jusqu’à la victoire de l’Ukraine». Une semaine s’est écoulée depuis que les membres des DSA Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib, Cori Bush et Jamaal Bowman ont retiré leur signature de la lettre, et aucun d’entre eux n’a fait de déclaration sur leur lâche revirement ou même tweeté sur le sujet.
Le 25 octobre, le WSWS a contacté le service de presse d’Ocasio-Cortez et demandé: «La membre du Congrès Ocasio-Cortez s’oppose-t-elle à la décision de la direction du Caucus progressiste de retirer la lettre qui appelle à un règlement négocié de la guerre en Ukraine? Si oui, nous aimerions lui donner l’occasion de le dire officiellement.» Le bureau de la congressiste a accusé réception de la question, mais n’a pas répondu.
Ilhan Omar, soutenue par les DSA, s’est exprimée publiquement sur le revirement de 24 heures, affirmant qu’elle avait retiré sa signature de la lettre originale en raison du «timing» et parce que «la lettre était une réponse aux informations que nous recevions» à la fin du mois de juin, évidemment du Pentagone et de la CIA, sur le danger d’une escalade. Cette explication est fallacieuse, puisque le danger de guerre nucléaire n’a fait qu’augmenter, Biden ayant déclaré plus tôt en octobre que le monde était au bord de l’«apocalypse». En réalité, les membres des DSA ont retiré leur signature parce que Nancy Pelosi leur a dit de le faire au nom de Wall Street et de l’armée.
De manière significative, Omar a répondu aux questions sur son revirement en attaquant les opposants à la guerre. Dans une série de tweets, elle a déclaré que ceux qui prétendent que les membres des DSA sont des «va-t-en-guerre» pour avoir annulé leur signature ne sont que des personnes qui font la promotion de la «désinformation Internet russe».
Omar a retweeté un fil de discussion d’un journaliste du Huffington Post qui dénonce «les marginaux [qui] tentent de suggérer… que les progressistes qui soutiennent l’Ukraine – la grande majorité, de Bernie [Sanders] à Ilhan [Omar] et AOC [Alexandria Ocasio-Cortez] – sont des va-t-en-guerre». Elle s’est également engagée à voter en faveur de dépenses militaires supplémentaires pour la guerre, alors même que le gouvernement Biden ne fait pratiquement rien pour aider des dizaines de millions d’Américains qui font face à une inflation croissante, à la pauvreté et à la propagation continue du COVID-19 dans leurs écoles et sur leurs lieux de travail.
On a interrogé Bernie Sanders, un autre candidat soutenu par les DSA, sur la lettre initiale qui appelle à des négociations: «Je ne suis pas d’accord avec ça, et ils ne sont pas d’accord avec ça apparemment», a-t-il dit, sans peut-être vouloir les insulter.
L’appel à la guerre jusqu’à la «victoire de l’Ukraine» est indissociable de la position des éléments les plus extrêmes de l’appareil militaire et de renseignement dont font partie les DSA. En fait, leur silence les place à la droite de personnalités comme Ro Khanna, membre du Progressive Caucus qui représente la Silicon Valley, qui a défendu la lettre et a appelé à des négociations.
La seule tentative semi-officielle de contrôle des dommages par un organe de direction des DSA sur le revirement de 24 heures a été publiée par le Comité international des DSA via son compte Twitter le 28 octobre.
«Il est décevant que la lettre ait été retirée sous la pression», a écrit le Comité international des DSA. «Nous devons continuer à nous organiser et à nous élever contre la rhétorique dangereuse du courant dominant qui alimente encore plus la guerre et rapproche le monde de la catastrophe nucléaire. Renoncer aux appels à la diplomatie ne fait qu’enhardir les bellicistes au détriment d’un discours indispensable».
Les commentateurs qui ont fait remarquer que les actions des DSA faisaient partie de la «rhétorique dominante dangereuse qui alimente la guerre» ont été rapidement bloqués.
Le tweet du Comité international des DSA renvoyait à un article de Branko Marcetic paru le 27 octobre dans le journal Jacobin intitulé: «Les membres progressistes ayant retiré leur lettre sur l’Ukraine, la diplomatie est désormais un mot de quatre lettres». L’article affirme à juste titre que la décision de retirer la lettre était «dangereuse à tout moment, et encore plus lorsque les tensions nucléaires sont élevées», mais il ne mentionne même pas que les membres du Congrès qui ont retiré leur signature étaient membres des DSA.
Ce revirement de 24 heures n’est pas une rupture avec les antécédents des DSA. Il fait partie intégrante de leur rôle de longue date en tant que faction pro-impérialiste du Parti démocrate impérialiste.
En mars, les membres des DSA au Congrès ont voté à l’unanimité en faveur de l’octroi d’une aide militaire de 40 milliards de dollars au gouvernement ukrainien, y compris des milliers de missiles «Stinger», de l’artillerie lourde et des équipements utilisés par le bataillon néonazi Azov dans la guerre contre la Russie. Le vote a été une aubaine pour les fabricants d’armes, qui ont vu leurs profits exploser en raison de la prolongation de la guerre. Le directeur financier de Lockheed Martin, Jay Malave, a déclaré à l’époque qu’il était «heureux» de l’adoption du projet de loi sur les dépenses militaires.
Les DSA font également la promotion d’un groupe ukrainien proguerre appelé «Sotsialnyi Rukh» (Mouvement social), une organisation dont la direction est composée d’individus qui travaillent avec le National Endowment for Democracy et le Solidarity Center de l’AFL-CIO, deux organisations liées à la CIA qui ont une longue histoire de répression de la résistance de la classe ouvrière à l’impérialisme américain à l’étranger. Des membres des DSA comme Ashley Smith ont dénoncé à plusieurs reprises les opposants de gauche à la guerre soutenue par les États-Unis et l’OTAN, les qualifiant de «faux anti-impérialistes» qui souhaitent «trahir l’Ukraine».
Mais le rôle proguerre des DSA n’est pas apparu que récemment. Les DSA sont issues d’une tendance politique dirigée par Max Shachtman, un membre éminent du mouvement de jeunesse du Parti communiste dans les années 1920 qui, aux côtés de James P. Cannon, a contribué à fonder la section américaine de l’Opposition de gauche après l’exclusion des partisans de Trotsky du Parti communiste en 1928.
Toutefois, Shachtman a rompu avec le mouvement trotskiste lorsque la Seconde Guerre mondiale a commencé en 1939-40, et il s’est orienté vers l’adoption de positions pro-impérialistes, rompant ainsi avec son passé socialiste. En particulier, Shachtman soutenait que la gauche devait appuyer l’impérialisme américain «démocratique» dans la guerre froide contre la Russie «autoritaire», qui, selon lui, n’était plus un État ouvrier.
Shachtman présentait les guerres brutales de l’impérialisme américain du milieu du 20e siècle comme justifiées par la nécessité pour l’Amérique «démocratique» de contrer «l’agression communiste». L’armée américaine larguait ses articles qui soutenaient la guerre de Corée sous forme de pamphlets par des avions militaires américains au-dessus de la péninsule coréenne à titre de propagande. Il a soutenu l’invasion de Cuba par le gouvernement Kennedy dans la baie des Cochons, et il est devenu un ardent défenseur de la guerre du Vietnam.
Le protégé de Shachtman, Michael Harrington, qui allait plus tard fonder le prédécesseur des DSA, le Democratic Socialists Organizing Committee, présentait également l’impérialisme américain comme un contrepoids «démocratique» à la Russie «autoritaire». Il partait du principe que la gauche américaine devait jouer «un rôle pro-américain, de guerre froide, de département d’État», selon l’historien Todd Gitlin.
À l’époque de la guerre du Vietnam, Harrington appartenait, comme Shachtman, au Parti socialiste. Le PS, sous l’influence politique de Shachtman, soutenait la guerre américaine et appelait à la défaite de la lutte du peuple vietnamien pour son indépendance vis-à-vis des impérialismes français et américain.
Pendant des années, alors que l’impérialisme américain faisait pleuvoir le napalm et les bombes sur le Vietnam, Harrington a soutenu la ligne majoritaire du PS. Il a dénoncé le Vietcong et le Front de libération nationale comme étant «communistes» et «autoritaires», la même ligne que le gouvernement de Lyndon Johnson que Harrington avait servi en tant que membre d’un groupe de travail national. En 1965, alors que les États-Unis intensifiaient la guerre, Harrington a déclaré: «Je suis anticommuniste par principe parce que je suis proliberté.»
Cependant, alors que le sentiment antiguerre grandissait au cours des années 1960, Harrington cherchait à rendre la position proguerre du PS plus acceptable. Maurice Isserman, partisan de Harrington, écrit dans sa biographie «The Other American» qu’au printemps 1967:
Michael [Harrington] a aidé Shachtman et d’autres à organiser un nouveau groupe appelé Negotiations Now qui se présentait comme une alternative responsable et modérée aux groupes irresponsables et radicaux qui demandaient le retrait immédiat des forces américaines du Vietnam… Mais la principale fonction de Negotiations Now était de servir de substitut au PS dans le mouvement antiguerre – quelque chose qu’ils pouvaient montrer lorsqu’ils étaient mis au défi de prouver qu’ils tentaient eux aussi de mettre fin à la guerre. Negotiations Now servait également de podium pratique à partir duquel les shachtmanistes pouvaient critiquer le reste du mouvement antiguerre comme étant – par contraste – extrémiste, malavisé et objectivement procommuniste.
En 1970, Harrington a appelé au retrait des troupes américaines du Vietnam et a rompu avec son ancien mentor sans pour autant répudier la politique pro-impérialiste de Shachtman.
Ce qui est resté constant tout au long de la préhistoire des DSA et de son rôle actuel, c’est l’effort pour réprimer le sentiment antiguerre et faciliter la poursuite des intérêts de l’impérialisme américain.
Harrington a inventé l’expression opportuniste «la gauche du possible» et a prétendu que cela signifiait que la gauche devait se battre pour accomplir ce qui était possible à l’heure actuelle. Ce que cela signifiait en réalité, c’est que la «gauche» ne peut rien faire qui «pourrait» contrarier le Parti démocrate. L’appel à la négociation lancé par Harrington il y a cinquante-cinq ans correspondait à la position d’une partie importante du Parti démocrate, qui s’est reflétée dans les campagnes présidentielles de 1968, de Robert Kennedy et d’Eugene McCarthy, tous deux soutenus par Harrington.
Les DSA d’aujourd’hui ont annulé la lettre qui appelait à des négociations parce que le Parti démocrate ne peut tolérer l’expression d’un quelconque sentiment antiguerre au sein de son appareil. Cela ne résulte pas de la force de sa position politique, mais de sa faiblesse et de son aliénation totale de la population, qui, à une large majorité, souhaite que les États-Unis négocient pour éviter la guerre nucléaire.
Cette expérience montre que les DSA n’ont pas évolué vers la gauche depuis l’époque de Harrington et la fondation du DSOC en 1972 et des DSA en 1982. Au contraire, pendant des décennies, les DSA ont fonctionné comme une faction du Parti démocrate, travaillant au sein de cette organisation impérialiste qui s’est déplacée de plus en plus vers la droite. Ses tentatives de faire pression sur le Parti démocrate pour qu’il se déplace vers la gauche n’ont réussi qu’à fournir une couverture politique à son évolution vers la droite.
Les DSA ne sont pas un véhicule d’opposition à la guerre impérialiste. C’est une zone de rétention pour le système bipartite. Son rôle est de piéger l’opposition sociale et de la chloroformer au sein du Parti démocrate.
La capitulation lâche et immédiate des membres des DSA reflète également le fait que les couches sociales de la classe moyenne supérieure pour lesquelles les DSA s’expriment constituent une base sociale pour la guerre impérialiste. Comme l’a écrit le Parti de l’égalité socialiste (É.-U.) dans une résolution de son septième congrès:
La guerre a complètement mis à nu les organisations de pseudogauche qui représentent les sections privilégiées de la classe moyenne supérieure, y compris les Socialistes démocrates d’Amérique aux États-Unis. Sous couvert d’opposition à l’«impérialisme» russe, les DSA, ainsi que diverses organisations pablistes et du «capitalisme d’État» au niveau international, se sont tous alignés sur les États-Unis et l’OTAN et appellent à l’armement impérialiste de l’Ukraine. Leur soutien à la guerre contre la Russie est l’aboutissement d’une politique qu’ils ont menée en relation avec la guerre impérialiste contre la Libye, la Syrie et d’autres pays.
La résolution du PES déclare: «La base sociale de l’opposition à la guerre est la classe ouvrière internationale». La lutte contre la guerre n’est «possible que par la mobilisation politique de la classe ouvrière en opposition à l’ensemble de la classe dirigeante et à ses deux partis: les démocrates et les républicains». Le développement d’un mouvement antiguerre aux États-Unis doit être lié à la lutte pour unir les travailleurs dans tous les pays, y compris en Russie et en Ukraine, contre la guerre et l’impérialisme». Telle est la perspective des socialistes.
(Article paru en anglais le 31 octobre 2022)