Le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario a déposé lundi un projet de loi qui interdit de manière préventive la grève imminente de 55.000 aides-enseignants, éducateurs de la petite enfance, bibliothécaires scolaires, concierges et membres du personnel administratif et leur impose des réductions massives de salaire en termes réels.
La loi proposée -- que le gouvernement a l’intention de faire adopter par le parlement provincial avant la grève qui devait commencer vendredi – est une attaque contre l’ensemble de la classe ouvrière et devrait être activement combattue par tous les travailleurs des secteurs public et privé du Canada.
Pour mettre la loi proposée à l’abri d’une contestation devant la Cour constitutionnelle, le gouvernement invoque l’anti-démocratique «clause dérogatoire», admettant ainsi qu’elle bafoue les droits démocratiques fondamentaux. La clause dérogatoire, jusqu’ici rarement utilisée, donne aux gouvernements fédéral et provinciaux du Canada le pouvoir d’adopter des lois qui violent les droits démocratiques fondamentaux censés être garantis par la Charte des droits et libertés de la Constitution canadienne.
Les droits de grève et de négociation collective des travailleurs sont depuis longtemps systématiquement attaqués, les gouvernements fédéraux et provinciaux de tous bords utilisant des lois de retour au travail pour briser les grèves et imposer des reculs contractuels. À quelques occasions, comme dans le cas d’une loi du gouvernement libéral de l’Ontario de 2012 suspendant le droit de grève des enseignants, les tribunaux ont annulé ces lois anti-travailleurs, bien que cela n’ait jamais abouti à quoi que ce soit qui s’approche d’une restitution complète pour les travailleurs visés.
L’utilisation par le gouvernement Ford de la clause dérogatoire pour soutenir sa loi anti-grève marque une étape importante dans la destruction des droits démocratiques des travailleurs et l’enracinement de formes autoritaires de pouvoir au Canada. Lorsque le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a invoqué pour la première fois la clause dérogatoire en juin 2021 pour faire passer en force la réforme des lois sur le financement des élections de son gouvernement, l’Ontario est devenu la troisième juridiction à utiliser cette mesure réactionnaire. Dans le contexte d’une forte recrudescence des luttes de la classe ouvrière, la normalisation de la clause dérogatoire par le gouvernement Ford est conçue pour envoyer un message à tous les travailleurs qu’il répondra à toute contestation de son programme ultraconservateur et pro-patronal par une répression impitoyable de l’État.
La législation briseuse de grève, qui porte le titre orwellien de Keeping Students in Class Act, impose des sanctions sévères en cas de défiance. Les travailleurs individuels peuvent se voir infliger une amende allant jusqu’à 4000 dollars et les syndicats jusqu’à 500.000 dollars pour chaque jour de grève en violation de la législation. Cela pourrait se traduire par une facture de 250 millions de dollars pour chaque jour de grève des travailleurs de soutien à l’éducation. À ce rythme, il suffirait d’un jour et demi de défiance pour épuiser la totalité du fonds général du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), le syndicat auquel appartiennent les travailleurs de soutien à l’enseignement, qui compte 700.000 membres.
Le dépôt d’une loi préventive contre la grève était la réponse agressive du gouvernement au dépôt dimanche, par le Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario (CSCE) affilié au SCFP, du préavis de grève de cinq jours requis.
Avec sa loi d’interdiction de la grève, le gouvernement a l’intention d’imposer par décret un contrat de quatre ans contenant de misérables «augmentations» de salaire de 2,5 % par an pour les travailleurs gagnant moins de 43.000 $ par an et de 1,5 % pour tous les autres. Et ce, dans des conditions où le taux d’inflation officiel est de 7 % et où la hausse des prix des produits de première nécessité est bien plus importante. Les produits d’épicerie, par exemple, sont plus de 11 % plus chers qu’il y a un an.
Lors d’une conférence de presse lundi, Lecce a cherché de manière absurde à présenter l’offre du gouvernement comme généreuse. Il a fait remarquer qu’elle représentait une augmentation par rapport à l’offre initiale de 2 % par an pour les travailleurs gagnant moins de 40.000 dollars et de 1,25 % pour tous les autres.
Le gouvernement prévoit également une réduction des indemnités de maladie. Les travailleurs qui demandent une invalidité de courte durée ne recevront que 25 % de leurs revenus pendant les cinq premiers jours d’absence, puis 90 % pour le reste de la période maximale de 120 jours.
De façon scandaleuse, Lecce a cherché à justifier ces attaques radicales comme étant nécessaires pour maintenir la «stabilité» dans les écoles. Après deux ans et demi de pandémie de COVID-19, a-t-il affirmé, il fallait s’assurer que les enfants puissent continuer à apprendre et que les enfants des ménages pauvres puissent avoir accès aux repas quotidiens et aux aides sociales. Venant d’un gouvernement qui a réduit les budgets de l’éducation publique et poursuivi une politique de pandémie où les profits passent avant les vies, qui a transformé les écoles en foyers d’infection et a entraîné sept vagues de décès massifs, ce cynisme est difficile à battre.
Le ministre de l’Éducation a également cherché à prétendre de manière fallacieuse que la loi antigrève ne s’applique pas aux enseignants et que le gouvernement continuera à négocier de «bonne foi» avec les syndicats d’enseignants. Une source gouvernementale anonyme s’adressant à Global News a été beaucoup plus directe, déclarant que la loi envoyait un «signal» aux syndicats d’enseignants et ajoutant, en ce qui concerne les futures négociations, «Nos intentions sont claires».
Le saccage du processus de négociation collective par Ford et Lecce souligne que les travailleurs n’ont rien à négocier avec eux. C’est la démonstration que l’ensemble du processus de négociation collective est une farce totale. Le gouvernement a la capacité d’inventer les règles au fur et à mesure afin de faire respecter ses diktats, tandis que les dirigeants syndicaux empêchent les travailleurs de mobiliser leur force de classe en adhérant scrupuleusement à des règles de négociation truquées que le gouvernement ignore à volonté.
Dans un autre exemple illustrant le mépris de Ford et Lecce pour les travailleurs de l’éducation, Lecce a distribué la semaine dernière à chaque parent de la province des bons d’une valeur de 250 $ pour des cours particuliers. Les quelque 350 millions de dollars dépensés pour ce geste, qui s’inscrit dans le programme du gouvernement visant à privatiser des services publics essentiels, correspondent exactement au montant que le gouvernement aurait dû dépenser pour satisfaire la demande de l’OSBCU d’une augmentation salariale annuelle de 11,7 % pour le personnel de soutien, et ce, pour une seule année.
Les 55.000 travailleurs de soutien en éducation, ainsi que les 200.000 enseignants de l’Ontario dont les contrats ont également expiré le 31 août, devraient exiger l’arrêt immédiat de toute nouvelle négociation contractuelle avec le gouvernement. Continuer à «négocier» avec un gouvernement qui a lancé un tel assaut de guerre de classe ne peut que signifier que l’on négocie des conditions de capitulation.
Au lieu de cela, les travailleurs doivent exiger que le SCFP et les quatre syndicats d’enseignants de l’Ontario organisent un défi massif à la loi anti-grève de Ford et luttent pour rallier l’ensemble de la classe ouvrière à travers le Canada à la défense des travailleurs de soutien, y compris dans une grève générale à l’échelle de la province.
Il existe une base solide pour développer une telle contre-offensive de la classe ouvrière. Pour ce faire, les travailleurs de soutien à l’éducation doivent prendre le contrôle de leur lutte contre la bureaucratie syndicale en créant des comités de la base pour rassembler tous les travailleurs de l’éducation et leurs partisans dans une lutte commune. Tous les travailleurs ont intérêt à défendre l’éducation et les autres services publics vitaux, à faire échouer la campagne gouvernementale et patronale visant à imposer des réductions des salaires réels et à briser la batterie de lois anti-grève que les gouvernements utilisent régulièrement pour imposer l’austérité et les reculs contractuels.
Cependant, Laura Walton, négociatrice en chef de l’OSBCU, et Fred Hahn, président du SCFP Ontario, ont refusé d’avancer toute stratégie visant à mobiliser les travailleurs pour faire échec à la législation anti-grève du gouvernement. Même maintenant, ils refusent d’appeler les travailleurs à défier la loi anti-grève de Ford, tandis que les syndicats d’enseignants ont exclu toute action de grève jusqu’à l’hiver.
Lundi après-midi, Hahn a annoncé que le SCFP Ontario organiserait ce vendredi une «manifestation politique» à l’échelle de la province contre la loi briseuse de grève du gouvernement. Cette initiative vise à éviter une confrontation avec Ford, et non à mener une véritable lutte contre ses attaques. Les travailleurs de l’éducation devraient se rappeler que le slogan de la «protestation politique» était précisément la formule utilisée par la bureaucratie syndicale en 1997 pour étouffer une grève des enseignants à l’échelle de la province et l’empêcher de devenir un défi politique direct à la «révolution du bon sens» du gouvernement Harris. Cette fois-ci, l’objectif du SCFP est d’éviter d’affronter de front la législation anti-grève draconienne du gouvernement Ford et de tenter de faire pression sur le gouvernement pour qu’il retourne à la «table de négociation».
Les travailleurs de la base ne doivent pas laisser passer cette lâche capitulation. Ils doivent exiger du SCFP qu’il se batte pour mobiliser les travailleurs de l’Ontario et du Canada afin de défendre le droit de grève, d’obtenir des augmentations de salaire à hauteur minimale de l’inflation pour tous les travailleurs et de s’opposer au démantèlement des services publics. Ils doivent insister pour que cette mobilisation ne se limite pas à une pathétique «manifestation politique» provinciale d’une journée, mais qu’elle comprenne une grève de solidarité jusqu’à ce que le gouvernement retire sa loi illégitime.
Pour unifier leur lutte avec les enseignants et tous les travailleurs intéressés à défendre l’éducation publique et le droit de grève, le personnel de soutien doit créer des comités de base dans chaque école. Ces comités se battront pour placer le contrôle de la lutte entre les mains de la base et uniront le personnel de soutien, par l’intermédiaire du Comité de base des travailleurs de l’éducation de l’Ontario, avec tous les travailleurs de l’éducation et leurs partisans, afin de défier massivement l’interdiction de grève du gouvernement et son décret de réduction des salaires.
(Article paru en anglais le 1er octobre 2022)