Parfois, un politicien résume l’essence de sa politique en quelques mots désinvoltes. C’est ce qu’a fait le sénateur du Vermont Bernie Sanders quand le chroniqueur de MSNBC Eric Michael Garcia l’a confronté la semaine dernière au rôle du secrétaire aux Transports Pete Buttigieg dans le déraillement d’un train toxique à East Palestine, Ohio.
Après plus d’une semaine de silence sur cette catastrophe ferroviaire, Buttigieg s’est montré dans une interview la semaine dernière. Il y a minimisé l’importance du déraillement en disant avec complaisance qu’il y avait plus de 1.000 déraillements chaque année aux États-Unis. Après une vive réaction de l’opinion publique, Buttigieg fut contraint de faire marche arrière en envoyant une lettre sévère, mais sans effet à Norfolk Southern. Il n’a toujours pas été sur les lieux de la catastrophe, affirmant vaguement qu’il ne le ferait que «lorsque le moment sera venu».
La réponse en cinq mots de Sanders à la question de Garcia – «conduisait-il le train?» – résume l’arrogance cynique et l’hostilité à l’égard de la classe ouvrière de ce «socialiste démocratique» autoproclamé.
La déclaration de Sanders absolvait non seulement Buttigieg et le gouvernement Biden, mais le dégageait encore de sa propre responsabilité dans la catastrophe. Il a joué un rôle clé dans les manœuvres ayant conduit à l’adoption d’une loi anti-grève contre les cheminots en décembre dernier. Sa réponse rejette aussi implicitement la responsabilité sur l’équipage du train. C’est là une calomnie répugnante vu l’état d’insécurité du système ferroviaire que démocrates et républicains, Sanders compris, ont créé, en faisant des courbettes à des sociétés ferroviaires aux profits massifs.
Quels sont les faits? Un train de Norfolk Southern transportant du chlorure de vinyle et d’autres produits chimiques hautement toxiques a déraillé après que les équipements de sécurité n’eurent pas détecté à temps un roulement à bille qui surchauffait. Cela s’est produit dans des conditions où les emplois des travailleurs responsables de la surveillance de telles situations ont été supprimés par cette compagnie pour réduire les coûts. Norfolk Southern n’a même pas signalé que le train transportait des matières à haut risque dû à une réglementation laxiste ou inexistante.
Les commentaires de Sanders à Garcia n’étaient pas accidentels. Ils découlent logiquement de son rôle de figure de proue du Parti démocrate et d’apologiste de «gauche» des syndicats pro-entreprises.
Près d’une semaine après la catastrophe, Sanders avait organisé une conférence de presse avec des responsables syndicaux pour saluer l’octroi de quatre jours de maladie supplémentaires à certaines catégories de cheminots par la compagnie ferroviaire CSX. Flanqué du sénateur républicain de droite de l’Indiana Mike Braun et des dirigeants des syndicats du rail, Sanders avait loué la «responsabilité» de l’entreprise, ne mentionnant qu’en passant l’empoisonnement toxique d’East Palestine.
Ces congés de maladie supplémentaires, qui n’incluent pas les équipes de train qu’on exploite jusqu’au sang, de garde 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 en vertu du 'Precision Scheduled Railroading' sont un geste symbolique pour couvrir le fait que les chemins de fer profitent de l’avantage que le Congrès leur a donné avec la loi anti-grève. Trois compagnies ont annoncé des «programmes pilotes» pour les équipes d’un seul homme quelques jours après la promulgation de cette loi. La société ferroviaire BNSF a depuis annoncé qu’elle allait sous-traiter l’entretien des locomotives à des non syndiqués.
Sanders a joué un rôle clé dans l’adoption du projet de loi anti-grève du gouvernement Biden qui impose des conditions contractuelles dictées par les opérateurs de trains sur le dos de 120.000 cheminots, qui ne répondaient pas aux besoins des travailleurs ni n’amélioraient les conditions dangereuses. Les cheminots n’avaient cessé de répéter que la surcharge de travail et le manque de personnel créaient des conditions propices au désastre. C’était la principale raison de leur vote à 99 pour cent pour la grève.
Si Sanders a voté contre la version finale de l’interdiction de grève et du contrat imposé par le gouvernement Biden aux travailleurs du rail, il a joué un rôle essentiel dans sa mise en œuvre. Il a participé à l’élaboration d’un amendement bidon à la loi qui ajoutait sept jours de congé maladie payés, eux-mêmes insuffisants. On savait à l’avance que cet amendement n’avait aucune chance d’être adopté au Sénat où il devrait surmonter l’obstruction des républicains. Son but était de donner une couverture politique à Sanders et à d’autres «progressistes».
Le projet de loi a été délibérément structuré pour que l'inévitable échec de la proposition de congé maladie au Sénat ne retarde en rien sa promulgation.
Alexandra Ocasio-Cortez et d’autres membres des Démocrates socialistes d’Amérique à la Chambre, alors contrôlée par les démocrates, ont voté pour le projet de loi briseur de grève sous prétexte de soutenir l’octroi de jours de congé maladie supplémentaires. L’élément le plus significatif du vote au Sénat a été la procédure accélérée, nécessitant le consentement unanime des 100 sénateurs, qui a permis de faire passer la loi avant la date limite pour une grève. On a élaboré l’accord à l’avance avec la Maison Blanche, et Sanders l’avait accepté. Si Sanders s’était opposé au projet de loi, son passage aurait été retardé.
Sanders a depuis longtemps été élevé au rang de figure de proue du Parti démocrate. D’un apologiste du parti nominalement indépendant, à discours « de gauche» et en marge du Sénat, Sanders est devenu l’une des figures de proue du parti. En janvier, il s’est vu confier la présidence de la Commission sénatoriale de la santé, de l’éducation, du travail et des retraites. Cela, après qu’on l’ait nommé à la tête de la puissante Commission sénatoriale du budget. Ocasio-Cortez, elle, a été nommée au poste de numéro deux de la Commission de surveillance de la Chambre des députés.
L’avancement de Sanders et des DSA intervient alors même que les leaders démocrates de la Chambre ont voté plus tôt cette année en faveur d’un projet de loi parrainé par les républicains et dénonçant le socialisme.
Il n’y a rien d’incohérent à cela. Sanders n’est pas un socialiste, mais un politicien capitaliste, une figure de proue du Parti démocrate qui se sert occasionnellement de phrases «de gauche» pour duper les travailleurs et renforcer la position de l’appareil syndical de droite et de l’État capitaliste en général. Ses honteux commentaires sur le désastre d’East Palestine n’en sont qu’une confirmation de plus.
(Article paru d’abord en anglais le 22 février 2023)