L'OMS met à jour sa terminologie pour les agents pathogènes transmissibles par voie aérienne

Plus de quatre ans après le début de la pandémie de COVID, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis à jour, le 18 avril 2024, sa terminologie sur les transmissions aériennes d'agents pathogènes de manière à l'aligner enfin sur les preuves qui avaient été présentées à l'agence de santé des Nations Unies par les scientifiques, dont des physiciens des aérosols, au début de la pandémie. Le rapport reconnaît que le virus à l’origine du COVID est effectivement aéroporté. Parmi les autres agents pathogènes aéroportés répertoriés figurent, entre autres, la grippe, le MERS, le SRAS et la tuberculose.

C’est notamment le 23 décembre 2021, lors de la première poussée du variant Omicron, que l’OMS, après des dénonciations répétées du mode de transmission aéroporté, a été contrainte d’accepter cette simple prémisse. À l’époque, il y avait eu 5,4 millions de décès confirmés et plus de 17 millions de décès en excès.

Discrètement, l’OMS a alors mis à jour ses directives en écrivant: «Les preuves actuelles suggèrent que le virus se propage principalement entre des personnes qui sont en contact étroit les unes avec les autres, par exemple à distance de conversation… le virus peut également se propager dans des environnements intérieurs mal ventilés et/ou surpeuplés où les gens ont tendance à passer de plus longues périodes. En effet, les aérosols peuvent rester en suspension dans l’air ou voyager plus loin que la distance de conversation (c’est ce qu’on appelle souvent aérosol à longue portée ou transmission aérienne à longue portée).»

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus (au centre), a déclaré la pandémie de coronavirus comme une urgence de santé publique de portée internationale en mars 2020. [Photo: Fabrice Coffrini]

Le nouveau consensus a été atteint après que l'OMS a consulté plusieurs agences et plusieurs centaines d'experts dans un large éventail de domaines sur une période de deux ans, et après qu’il ait été examiné par les CDC d'Afrique, de Chine, d'Europe et des États-Unis. Il n’est pas surprenant que le rapport de consultation technique mondiale «sur la terminologie proposée pour les agents pathogènes qui se transmettent par l’air» soit en grande partie en deçà de ce qui est attendu d’un tel document.

Avant tout, la nouvelle nomenclature «par transmission aérienne», qui a été substituée au terme simple et couramment utilisé «aéroporté», semble intentionnellement laborieuse et maladroite. En fait, cela brouille ce qui est un concept simple, d'une manière qui ne fera que semer davantage de confusion et qui va empêcher la mise en œuvre des mesures de santé publique nécessaires pour protéger les espaces intérieurs des agents pathogènes.

Comme le note explicitement le rapport, «[Le] processus visait à être un point de départ pour ce qui s’annonce comme des discussions difficiles et compliquées sur un sujet d’une énorme complexité, qui constitueraient la base d’un langage commun entre les disciplines. Cependant, cela nécessiterait probablement des travaux supplémentaires afin d’être opérationnalisé et mis en œuvre dans des contextes spécifiques à l’agent pathogène, à la discipline et au contexte. [C'est nous qui soulignons]

Cela nous place au cœur du problème de la définition de la transmission aérienne et explique en grande partie le refus persistant de l'OMS, jusqu’à un stade avancé de la pandémie de COVID, de reconnaître le mode de transmission du SRAS-CoV-2, car les implications auraient été profondes.

À titre d'exemple, les récentes tentatives du comité consultatif fédéral HICPAC, dominé par le secteur hospitalier, d'affaiblir les protections contre les infections dans les soins de santé dans le cadre de mesures de réduction des coûts, sont renforcées par de telles réserves, qui auront un impact sur comment les précautions aériennes sont mises en œuvre dans d’autres aspects de la société. Comme le Dr Jose-Luis Jimenez, professeur de chimie à l’Université du Colorado-Boulder, l’a récemment noté sur les réseaux sociaux: «Les instances de prévention et de contrôle des infections médicales NE veulent toujours PAS que les protections aéroportées soient utilisées plus largement. Et ils veulent avoir le POUVOIR sur QUAND ils doivent être utilisés (comme le souligne @microlabdoc).»

Loading Tweet ...
Tweet not loading? See it directly on Twitter

Toutefois, s’il est reconnu que la transmission aérienne est le mode dominant par lequel les agents pathogènes respiratoires infectent les humains, des équipements et des infrastructures appropriés sont alors nécessaires pour empêcher la transmission des agents pathogènes respiratoires, où que ce soit. Ceux-ci deviennent des priorités sociales urgentes.

Une étude publiée dans The Lancet l'année dernière a révélé que les enfants qui développaient des infections des voies respiratoires inférieures avant l'âge de deux ans étaient deux fois plus susceptibles de mourir prématurément de maladies respiratoires. Les résultats ont persisté même après ajustement aux facteurs socio-économiques et aux habitudes des adultes, comme le tabagisme. Les maladies respiratoires chroniques sont responsables de près de 4 millions de décès par an, soit 7 pour cent du chiffre mondial.

Comme l'a déclaré l'auteur principal, le Dr James Allinson du National Heart & Lung Institute de l'Imperial College de Londres: «Les mesures préventives actuelles contre les maladies respiratoires chez l'adulte se concentrent principalement sur les facteurs de risque liés au mode de vie des adultes, tels que le tabagisme. Relier un décès respiratoire adulte sur cinq à une infection courante plusieurs décennies plus tôt dans l’enfance montre la nécessité de cibler le risque bien avant l’âge adulte.»

En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement de prévenir les pandémies et les épidémies. L’éradication de toutes les infections respiratoires devient un objectif primordial de santé publique. Ne pas «opérationnaliser et mettre en œuvre» de vastes précautions envers les infections aéroportées pour en faire une préoccupation publique de portée internationale constitue une négligence de caractère criminel en matière de santé publique.

L’un des aspects positifs du rapport sur le consensus est qu’il a supprimé l’idée précédente selon laquelle seules les particules de cinq microns ou moins peuvent être en suspension dans l’air et que toutes les particules plus grosses sont donc transmises par «transmission de gouttelettes» et tomberaient au sol sous l’effet de la force gravitationnelle à un ou deux mètres de distance. Il s’agissait du dogme erroné de base qui était en vigueur depuis plus d’un siècle, comme l’expliquait le Dr José-Luis Jimenez en juillet 2021 dans une interview accordée au World Socialist Web Site.

L’OMS déclare maintenant que les «particules respiratoires infectieuses [PRI]» qui voyagent «dans l’air» sont de n’importe quelle taille et le font sur n’importe quelle distance. Ils reconnaissent également que les PRI peuvent être libérées non seulement par la toux ou les éternuements, mais également par la parole et l'expiration. Sous le mode de transmission appelé «par voie aérienne», ceux-ci sont en outre sous-catégorisés en «transmission aéroportée/inhalation» et «dépôt direct», qui est le nouveau terme pour la transmission par gouttelettes.

Plus qu’un simple usage maladroit, présenter les deux termes comme des sous-catégories d’une unité plus grande, au lieu d’en faire des modes de transmission distincts, ne fait que perpétuer la caractérisation trompeuse de la façon dont le COVID est transmis. Le dépôt direct n’a pas été la voie dominante de transmission interhumaine durable du COVID, caractérisée par des événements à grande propagation et l’infection massive de centaines de millions de personnes chaque année.

Il a fallu deux ans et 52 pages pour reconnaître la nature aéroportée du COVID-19. De plus, le document ne promulgue aucune directive sur ce qui doit être fait pour protéger les populations contre les agents pathogènes qui se transmettent «par l’air». Anticipant les difficultés politiques auxquelles l'OMS serait confrontée en reconnaissant la nature aéroportée des agents pathogènes respiratoires, celle-ci a conclu son résumé par des excuses détournées pour sa négligence dans la publication de directives.

Elle a déclaré: «Cette consultation est la première phase du débat scientifique mondial mené par l’OMS. À partir de là, les prochaines étapes nécessiteront des recherches techniques et multidisciplinaires plus approfondies et une exploration des implications plus larges des descripteurs mis à jour avant qu’une mise à jour sur la prévention et le contrôle des infections ou d’autres orientations sur les mesures d’atténuation ne soit publiée par l’OMS.»

L'implication de cet aveu de l'OMS, alors que le COVID continue de muter et d'infecter des millions de personnes à travers le monde, signifie que bien qu'elle ait accepté la nature aéroportée du SRAS-CoV-2, elle ne publiera aucune directive pour en prévenir et atténuer la propagation de même que pour tout autre pathogène respiratoire présent et futur.

De toute évidence, l’incapacité des États membres à s’entendre sur le texte du «tout premier» accord mondial sur les pandémies, qui doit être voté fin mai lors de l’Assemblée mondiale de la santé de cette année, signifie que le monde est encore moins préparé à faire face aux futures crises mondiales qu’à la veille de la pandémie de COVID. Cela inclut le partage équitable des informations techniques sur les traitements et les vaccins et leur distribution aux populations.

S'adressant à Human Rights Watch, la conseillère juridique d'Amnesty International, Tamaryn Nelson, a déclaré: «La création d'un nouveau traité sur la pandémie pourrait offrir l'opportunité de garantir que les pays soient dotés de mécanismes de coopération et de principes appropriés pour empêcher le niveau de dévastation provoqué par la pandémie de COVID-19 et les violations des droits résultant des réponses gouvernementales. En ne fondant pas le traité sur les obligations existantes en matière de droits de l’homme et en ne répondant pas de manière adéquate aux préoccupations en matière de droits de l’homme qui surviennent lors d’urgences de santé publique, les gouvernements risquent de répéter l’histoire lors de la prochaine crise sanitaire mondiale.»

L’ancienne scientifique en chef de l’OMS, la Dr Soumya Swaminathan, pédiatre indienne, qui a quitté son poste à la mi-novembre 2022 après une série de départs très médiatisés, n’a pas entièrement expliqué les raisons de sa démission. Mais dans une interview avec Science Insider, elle a exprimé ses regrets quant à la gestion de la pandémie de COVID par l’agence des Nations Unies.

Elle a déclaré: «Nous aurions dû le faire beaucoup plus tôt, sur la base des preuves disponibles, et c'est quelque chose qui a coûté cher à l'organisation. Vous pouvez affirmer que [les critiques de l’OMS] sont injustes, car lorsqu’il s’agit d’atténuation, nous avons parlé de méthodes, notamment de ventilation et de masquage. Mais en même temps, nous n’avons pas dit avec force: 'Il s’agit d’un virus aéroporté'. Je regrette que nous ne l’ayons pas fait beaucoup plus tôt.»

(Article paru d’abord en anglais le 25 avril 2024)

Loading