Les manifestations populaires se multiplient au Pakistan contre les mesures d'austérité imposées par le FMI

Dans tout le Pakistan, l’opposition grandit face à la politique d’austérité brutale mise en œuvre par le gouvernement de la Ligue musulmane (PML-Nawaz) dirigé par le premier ministre Shehbaz Sharif, soutenu par l’armée.

Depuis qu’il a remplacé en 2022 le gouvernement d’Imran Khan et de son PTI (Pakistan Tehreek-e-Insaf – Mouvement pakistanais pour la justice), également favorable à l’austérité et aux privatisations, Sharif a fait passer les diktats du Fonds monétaire international (FMI) avec le soutien de l’ensemble de l’establishment d’Islamabad, y compris de l’armée et des plus hauts magistrats.

En avril 2022, Khan, considéré comme peu fiable et antagoniste des États-Unis dans sa gestion de la politique étrangère du pays, a été évincé à l’occasion d’une motion de censure votée au parlement, approuvée et orchestrée par l’armée. Sharif est alors arrivé au pouvoir à la tête d’un gouvernement de coalition des deux principaux partis d’opposition, le PML-N et le Parti du peuple pakistanais (PPP).

Soutenus par les sections les plus puissantes de la classe dirigeante, les militaires et la bureaucratie d’État ont conspiré pour porter au pouvoir un gouvernement PML (N) dirigé par le frère de Shebhaz, le Premier ministre à plusieurs mandats Nawaz Sharif, lors des élections législatives de janvier dernier. Mais leur tentative de truquer les élections, notamment en emprisonnant Khan pour corruption et «terrorisme» et en empêchant le PTI de se présenter aux élections, s’est retournée contre eux de manière désastreuse. Bénéficiant d’un vote de sympathie engendré par l’opposition au truquage flagrant des élections par l’armée, les «indépendants» du PTI ont remporté une pluralité de sièges à l’Assemblée nationale.

Craignant le déshonneur populaire et reconnaissant que la situation économique désastreuse du Pakistan obligerait le nouveau gouvernement à prendre des mesures draconiennes pour rassasier les capitaux, Nawaz Sharif a laissé le poste de Premier ministre à son frère et le PPP a refusé d’entrer au gouvernement. Il a préféré le soutenir « de l’extérieur ».

Le premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif s'adresse aux législateurs au parlement, à Islamabad, au Pakistan. [AP Photo/Press Information Department]

Le gouvernement minoritaire PML-N prépare actuellement un nouveau budget pour le cinquième pays le plus peuplé du monde. Mais, les grandes lignes du budget sont déjà définies par le FMI, dominé par les États-Unis.

En outre, Washington, qui a réagi favorablement aux tentatives de Sharif et de l’armée (aujourd’hui dirigée par le général Asim Muni) de renouer les relations, utilisera sans aucun doute les querelles autour d’un nouveau plan de sauvetage de plusieurs milliards de dollars pour arracher des concessions géopolitiques.

Bien que le Pakistan le nie publiquement, une montagne de preuves montre que l’approbation par Washington du déblocage des dernières tranches d’un prêt du FMI négocié par le précédent gouvernement d’Imran Khan a été donnée en échange de l’accord secret d’Islamabad de fournir à l’Ukraine l’armement nécessaire pour mener la guerre contre la Russie, initiée par les États-Unis et l’OTAN.

Comme l’exige le FMI, Sharif s’est déjà engagé à réduire les subventions dans le secteur de l’énergie et à permettre la chute libre de la monnaie nationale — deux mesures qui alimenteront davantage l’inflation — ainsi qu’à augmenter les taxes sur les produits de première nécessité.

L’inflation annuelle, qui était de 8,9 pour cent en 2021, est passée à 29,2 pour cent en 2023. Islamabad et le FMI ont appliqué leurs politiques d’austérité sans se soucier de la spirale des coûts déclenchée par la guerre en Ukraine et de la perturbation de la production mondiale due à la propagation du COVID-19. En conséquence, la pauvreté est passée de 34,2 pour cent à 39,4 pour cent en l’espace d’un an seulement, selon les données de la Banque mondiale pour 2023.

Manifestations de masse dans l’Azad Cachemire

Les manifestations qui ont éclaté dans le Cachemire sous contrôle pakistanais, officiellement connu sous le nom d’Azad Jammu et Cachemire (AJK), sont l’une des expressions les plus significatives de la colère croissante des masses ces dernières semaines. Nominalement une région autonome du Pakistan, l’AJK est sous le contrôle ferme d’Islamabad et de l’armée.

Un appel à une marche de protestation le 11 mai à Muzaffarabad, la capitale de l’AJK, contre la hausse des prix, a été initialement lancé par l’AAC (Jammu et Kashmir Awami Action Committee), une organisation dirigée par de petits commerçants et comprenant des représentants de la jeunesse et des employés du secteur public. Parmi les revendications figuraient des appels à mettre fin à l’existence privilégiée de l’élite de la région. Le gouvernement de l’AJK a tenté d’anticiper la marche en arrêtant plus de 70 militants de l’AAC quelques jours avant le début de la manifestation. Cela a déclenché une grève des transports et des commerces à partir du 10 mai.

Les mesures antidémocratiques prises par le gouvernement à l’encontre de l’AAC ont suscité la sympathie des masses pauvres, qui cherchent désespérément à échapper à la flambée des prix. Des manifestations de grande ampleur ont éclaté dans de nombreuses zones du Cachemire sous contrôle pakistanais, une région montagneuse qui compte plus de 4 millions d’habitants. Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement de l’Azad Jammu-et-Cachemire a réagi par une nouvelle répression policière violente, qui a sans aucun doute reçu le feu vert d’Islamabad. Après des affrontements entre la police et des manifestants par ailleurs pacifiques, la police a affirmé qu’un policier avait été tué et que des dizaines de manifestants avaient été blessés.

Au troisième jour des manifestations, le gouvernement de l’AJK a réagi en déployant des Rangers paramilitaires contre les manifestants, avec l’aide d’Islamabad. Inquiet de la montée de l’opposition populaire, Sharif a convoqué une réunion d’urgence avec le Premier ministre de l’AJK, Chaudhry Anwar Haq, le 13 mai, qui a débouché sur l’annonce d’un plan d’aide de 23 milliards de roupies (83 millions de dollars) pour l’AJK.

Le même jour, un convoi de Rangers, apparemment en train de quitter l’AJK, s’est lancé dans une fusillade et a tué trois manifestants, en blessant au moins six autres. Les derniers sacrements ont été rendus aux personnes tuées l’après-midi suivant, et de grands groupes de personnes se sont rendus à Muzaffarabad pour participer aux prières funéraires. Le deuil a été observé le mercredi 15 mai, les morts étant qualifiés de martyrs.

Pris de court par l’éruption de l’opposition populaire et craignant que son contrôle sur la situation ne soit limité, les dirigeants de la CAA ont profité du programme de «secours» de Sharif pour annoncer la fin des manifestations. L’AAC a limité sa réaction aux fusillades à un appel au gouvernement pour la formation d’une commission judiciaire chargée d’enquêter sur les décès.

Le gouvernement de l’AJK a fermé les écoles et suspendu les réseaux mobiles et les services Internet dans la majeure partie de la région afin d’empêcher toute nouvelle mobilisation de masse. L’accès de la population aux réseaux mobiles et à l’Internet est devenu ces dernières années une cible privilégiée du gouvernement, qui cherche à contenir l’opposition à ses politiques.

Sharif a révélé l’inquiétude qui règne à Islamabad lorsqu’il a qualifié de «préoccupante» l’évolution de la situation dans l’Azad Jammu-et-Cachemire. Il a également tenté de justifier les attaques violentes contre les manifestants en affirmant l’existence parmi les manifestants d’«éléments» cherchant à «déstabiliser la région», sans fournir l’ombre d’une preuve. De telles références visent généralement l’Inde, le grand rival du Pakistan.

Le calvaire auquel l’élite dirigeante pakistanaise a soumis la population de l’AJK ces dernières semaines — des mesures qu’elle dénoncerait sur la scène internationale si elles avaient été appliquées par l’Inde à la population longtemps réprimée du Cachemire sous administration indienne — montre l’hypocrisie d’Islamabad. Sa seule préoccupation est d’exploiter les griefs authentiques du peuple du Cachemire pour faire avancer sa propre compétition géostratégique réactionnaire avec l’Inde dans la région.

N’ayant aucune objection à l’austérité draconienne du FMI ou à la mainmise d’Islamabad sur l’AJK, les médias de l’establishment d’Islamabad ont plus ou moins suivi la ligne officielle sur la répression des manifestations dans l’AJK.

Mercredi, le gouvernement pakistanais a déclaré à la Haute Cour d’Islamabad qu’Ahmad Farhad — un journaliste et poète cachemiri qui avait été enlevé par des agents de l’État devant son domicile deux semaines auparavant — avait été «retrouvé» et se trouvait dans une prison locale de l’Azad Jammu-et-Cachemire. Des avocats agissant au nom de l’épouse de Farhad avaient d’abord déposé une plainte auprès du tribunal pour demander aux autorités de révéler où il se trouvait le 15 mai. L’armée pakistanaise et son agence de renseignement Inter-Services ont un long et sanglant palmarès de tortures, de «disparitions» et d’exécutions extrajudiciaires.

Une vague de manifestations de paysans et d'agriculteurs

L’éruption de protestations contre l’austérité et la flambée des prix ne s’est pas limitée à l’Azad Jammu-et-Cachemire. Ces dernières semaines, les manifestations de paysans se sont étendues à l’ensemble du Pakistan, en particulier dans la province du Pendjab, la plus peuplée du pays. Cette province est connue comme le «grenier à blé» du Pakistan en raison de la dépendance du pays de ses récoltes. Les agriculteurs de plusieurs villes du Pendjab protestent depuis le mois d’avril contre le fait que le gouvernement ne leur achète pas de blé, ce qui les oblige à vendre leur production à des prix les menant à la faillite avant la prochaine récolte.

Alors que le gouvernement a réduit les subventions pour l’achat de blé et pour contrôler son prix sur le marché, il a importé d’importants stocks de blé. Il affirme que cela est nécessaire pour compenser les pertes de récoltes dues aux inondations. Ces importations ont fait baisser le prix du blé sur le marché, ce qui a encore réduit les revenus des agriculteurs. Les protestations des agriculteurs ont pris la forme de manifestations et de grèves de la faim, mais elles ont souvent fait l’objet d’un harcèlement policier. À Lahore, les violences policières se sont traduites par une charge à la matraque et des barrages de gaz lacrymogène, et se sont terminées par l’arrestation d’un grand nombre d’agriculteurs.

Malgré les revendications limitées de ces manifestations, elles témoignent du mécontentement croissant d’une grande partie de la population qui dépend de l’agriculture. Lorsque des inondations sans précédent liées au changement climatique ont détruit les récoltes en 2022, le gouvernement n’a pratiquement rien fait pour aider à la reprise. Au moins 37 pour cent de la main-d’œuvre pakistanaise est employée dans l’agriculture, qui représente 23 pour cent du produit intérieur brut (PIB). Environ 70 pour cent des exportations du pays sont des produits agricoles.

La vague de protestations dans un Pakistan en crise survient alors que le gouvernement négocie un nouveau prêt avec le FMI. En juillet dernier, le gouvernement a dû accepter une nouvelle série de mesures d’austérité draconiennes de la part du FMI pour avoir accès à un prêt déjà existant et éviter la faillite d’État. Aujourd’hui, Islamabad demande une somme beaucoup plus importante, qui pourrait dépasser les 6 milliards de dollars. Le FMI aurait exigé que le gouvernement minoritaire mette en œuvre des «actions préalables» avant un accord pour un nouveau prêt «étant donné l’environnement politique imprévisible», selon des fonctionnaires ayant parlé au quotidien Dawn.

Ces «actions préalables» comprennent de nouveaux prélèvements, notamment sur le pétrole, et une augmentation générale des prix des produits énergétiques. Dans le cadre d’un nouveau programme, le FMI exige également «de vastes réformes pour améliorer le cadre budgétaire». Cela implique de réduire davantage les dépenses sociales, d’augmenter les recettes fiscales, notamment en taxant les retraites, et de privatiser. Dawn a déclaré: «La prochaine phase de stabilisation économique sera très difficile pour la majorité de la population».

Le PPP, l’un des deux partis bourgeois traditionnels de l’élite d’Islamabad avec le PML-N, maintient le gouvernement minoritaire de Sharif au pouvoir tout en se cachant derrière son soutien «conditionnel» pour maintenir une distance tout à fait factice par rapport à ces réformes impopulaires. Faute d’un mandat populaire, le gouvernement adoptera des formes de gouvernement de plus en plus autoritaires en cherchant à imposer un nouveau programme d’austérité à la population.

En raison de la résistance des travailleurs, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à privatiser certaines des plus grandes entreprises du pays, notamment Pakistan Airlines, les entreprises du secteur de l’énergie et les chemins de fer. Cependant, grâce à la perfidie de l’appareil syndical, qui s’est efforcé d’isoler et d’affaiblir l’opposition des travailleurs, les gouvernements tant fédéral que provinciaux sont parvenus à imposer une restructuration substantielle. Cela s’est déjà traduit par des pertes d’emplois massives et une baisse des salaires et des avantages sociaux des travailleurs.

Les récentes manifestations dans l’Azad Cachemire ne sont que la partie visible de l’iceberg. Le ressentiment et la colère de la population pakistanaise face à la perte de ses droits démocratiques les plus élémentaires et la situation critique de dizaines de millions de gens en raison de l’extrême crise socio-économique, attisent un volcan pouvant entrer en éruption à tout moment.

Cela souligne que la classe ouvrière doit rallier derrière elle les travailleurs ruraux et les opprimés, en opposition à toutes les factions de la bourgeoisie. Elle doit forger l’unité avec les travailleurs de l’Inde et de toute la région sur la base d’un programme socialiste visant à réorganiser la vie socio-économique et à créer un cadre pour le développement amical et égal de tous les peuples — les États-Unis socialistes d’Asie méridionale.

(Article paru en anglais le 30 mai 2024)

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