La Banque centrale européenne réduit ses taux d'intérêt « par précaution »

La Banque centrale européenne (BCE) a abaissé son taux d’intérêt de 0,25 point de pourcentage à sa réunion du jeudi 6 juin, près de deux ans après le début de son cycle de resserrement des taux. Une décision attendue, puisque prédite par ses responsables, dont sa présidente Christine Lagarde.

La BCE avait insisté pour dire que ses décisions dépendaient des données et qu’elle ne commencerait à réduire ses taux que lorsqu’elle verrait l’inflation se rapprocher de son objectif de 2 pour cent. Si l’inflation dans la zone euro est passé de plus de 10 pour cent en octobre 2022 à 5,2 pour cent un an plus tard, et à 2,6 pour cent aujourd’hui, les dernières données montrent une hausse, la première de l’année.

Christine Lagarde, présidente de la BCE, lors d'une conférence de presse après une réunion du conseil des gouverneurs à Francfort, Allemagne, le 25 janvier 2024. [AP Photo/Michael Probst]

Cette décision a suscité l’opposition au conseil des gouverneurs, de la part directeur de la banque centrale autrichienne Robert Holtzmann. Celui-ci a déclaré après la réunion que «les décisions fondées sur les données devraient être des décisions fondées sur les données».

Il était cependant le seul de cet avis. Compte tenu des indications précédentes d’une baisse des taux en vue, un facteur pris en compte par les marchés financiers, le conseil des gouverneurs a clairement décidé qu’il devait réduire son taux, sous peine de provoquer des turbulences.

Outre les considérations immédiates, la décision a été motivée par la nécessité d’essayer de contrer la stagnation continue de l’économie de la zone euro. Celle-ci a stagné tout au long de 2023 et n’a montré que des signes timides de reprise avec une augmentation de 0,3 pour cent du PIB au premier trimestre 2024.

Comme le soulignait un article du Financial Times (FT) à la veille de la décision: «En recommençant à baisser ses taux, la banque devrait donner un nouveau souffle aux marchés de l’immobilier, aux investissements des entreprises et aux dépenses des consommateurs».

Dans un commentaire d’éditorial publié après l’annonce de la baisse, le FT la qualifie de «mesure de précaution pragmatique». Il ajoute que, l’inflation commençant à baisser, «l’impact du coût élevé du crédit commence à retenir davantage l’attention». Maintenir les taux trop hauts pendant trop longtemps pourrait signifier que l’inflation baisse trop et «entraînerait la croissance avec elle».

Dans sa déclaration préparée pour la conférence de presse, Lagarde a indiqué qu’après cinq trimestres de stagnation, l’économie croissait à nouveau, même si le secteur manufacturier clé ne se stabilisait qu’à un «faible niveau».

Les risques pour la croissance étaient «équilibrés à court terme, mais restent orientés à la baisse à moyen terme» et «une économie mondiale plus faible ou une escalade des tensions commerciales entre les principales économies pèseraient sur la croissance de la zone euro».

Lagarde n’a pas précisé la source de ces tensions, qui découlent de la guerre économique menée par les États-Unis contre la Chine et de l’exigence de Washington que l’Europe les rejoignent pour imposer des droits de douane et d’autres restrictions à la Chine dans le domaine des technologies vertes, comme les véhicules électriques.

Les inquiétudes concernant l’économie mondiale ne sont pas déplacées. L’Europe est pratiquement en stagnation, tout comme le Royaume-Uni et le Japon. En Chine, pays qui apporte un soutien crucial à l’économie mondiale depuis la crise financière mondiale de 2008, l’objectif de croissance officiel du gouvernement de Xi Jinping ne dépasse guère 5 % pour cent, le taux le plus bas depuis plus de 30 ans.

Mais si la BCE a décidé d’assouplir sa politique monétaire «restrictive» afin de fournir un stimulus limité, elle ne l’abandonne en aucun cas, comme l’a clairement indiqué Lagarde dans sa conférence de presse.

À la question de savoir si cette décision marquait le début d’une série de baisses des taux ou si elle était «unique», elle a répondu: «Je ne peux pas confirmer que ce soit le processus de réduction qui soit en cours. Il y a de fortes chances, mais cela dépendra des données ; et ce qui est très incertain, c’est la vitesse à laquelle nous avançons et le temps que cela prendra».

Après la réunion, le Financial Times a rapporté que «plusieurs membres» du conseil des gouverneurs ont déclaré qu’une autre baisse des taux en juillet semblait improbable «en raison des récentes hausses de l’inflation et de la croissance des salaires».

L’ensemble de données le plus important que la BCE prendra en compte est le niveau des augmentations salariales, auquel Lagarde a fait référence à plusieurs occasions.

Dans ses remarques préparées, elle a noté que «l’inflation intérieure reste élevée», tandis que les salaires continuaient « d’augmenter à un rythme élevé, rattrapant ainsi l’inflation passée». En réalité, les hausses de salaire sont bien plus faibles que la hausse des prix, qui a réduit le niveau de vie des travailleurs, en Europe et dans le monde.

Interrogée sur des données salariales ayant montré une hausse du niveau des salaires, elle a déclaré que l’auteur de la question avait «tout à fait raison de me ramener aux salaires parce que ceux-ci comptent énormément dans un marché du travail tendu lorsqu’il s’agit de services», et que les salaires étaient à l’origine de la hausse des coûts dans ce domaine.

En mai, la Bundesbank [banque centrale allemande], dont les représentants sont considérés comme les plus farouches, a déclaré que les salaires en Allemagne avaient augmenté plus vite que prévu et qu’il y avait des «risques pour le processus de désinflation» pouvant signifier que «la forte pression sur les prix des services pourrait durer plus longtemps».

En réaction à la question de savoir si, à la lumière de la décision, prise dans des conditions où les dernières données montraient une hausse des prix, «certains pourraient avoir l’impression que la BCE ne prend plus la lutte contre l’inflation assez au sérieux», Lagarde a déclaré que la BCE prenait la lutte contre l’inflation «très au sérieux».

L’augmentation des taux d’intérêt était une modération de la position restrictive de la banque centrale, a-t-elle déclaré. «Et nous continuerons à être restrictifs aussi longtemps qu’il le faudra pour ramener l’inflation à 2 pour cent en temps voulu. N’ayez aucun doute à ce sujet ».

Mais dans des conditions où les taux d’intérêt américains restent à un niveau élevé, l’une des conséquences de la décision sera de faire baisser la valeur de l’euro et d’augmenter les prix des importations dans la zone euro, ce qui tendra à accroître le taux de l’inflation.

Il est encore trop tôt pour le dire, mais la divergence entre les États-Unis et les autres banques centrales – la banque centrale canadienne a réduit son taux après que l’aient fait les banques centrales du Brésil, du Mexique, de la Suisse et de la Suède – pourrait entraîner des turbulences sur les marchés des devises, où le yen japonais et le renminbi chinois subissent déjà d’importantes pressions à la baisse.

(Article paru en anglais le 8 juin 2024)

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