La Réserve fédérale américaine réticente à abaisser les taux d’intérêt

La Réserve fédérale américaine a maintenu ses taux d’intérêt en suspens, la majorité des membres de son organe directeur indiquant qu’ils ne s’attendent qu’à une seule baisse avant la fin de l’année.

Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, s’exprime lors d’une conférence de presse dans le bâtiment de la Réserve fédérale à Washington, mercredi 27 juillet 2022. [AP Photo/Manuel Balce Ceneta]

La décision de maintenir les taux d’intérêt à leur niveau actuel étant largement attendue, l’attention s’est surtout portée sur le plan trimestriel où les responsables de la Réserve fédérale indiquent où ils pensent que les taux iront.

Et là, il y a eu un changement significatif. En mars, ils avaient annoncé jusqu’à trois baisses pour l’année.

Cette fois-ci, quatre membres du comité de décision ont déclaré qu’ils ne prévoyaient aucune baisse, sept ont dit qu’ils pensaient procéder à une seule baisse et huit ont prévu deux.

Au début de l’année, les marchés financiers prévoyaient jusqu’à six baisses de taux pour l’année. Aujourd’hui, on doute qu’il y en ait même une.

Ce qui a été décrit comme une perspective «agressive» s'est produit en dépit des données publiées quelques heures avant que la Réserve fédérale ne prenne sa décision, qui ont montré une inflation plus faible que prévu pour le mois de mai, augmentant ainsi la perspective de réductions de taux.

Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a semblé pencher du côté d’au moins deux réductions, décrivant le chiffre de l’inflation comme «encourageant», et a déclaré que les prévisions d’inflation plus élevée du comité avaient un élément de «conservatisme». Il a noté que 15 des 19 pays avaient indiqué une ou deux réductions et que l’une ou l’autre option était «plausible».

Lors de sa conférence de presse, il a déclaré que les dernières données sur l’inflation, qui montrent que l’indice des prix à la consommation pour le mois de mai a augmenté de 3,3 pour cent pour l’année, contre 3,4 pour cent pour le mois d’avril, constituaient un «pas dans la bonne direction [...] mais il ne faut pas être trop motivé par un seul point de données», et que pour réduire les taux, «nous aurons besoin de voir d’autres données encourageantes».

Comme c’est le cas depuis le début du resserrement des taux, la Réserve fédérale portera une attention particulière au marché du travail, où Powell a déclaré que l’offre et la demande étaient parvenues à un «meilleur équilibre» et qui était «relativement tendu, mais pas en surchauffe».

Bien que le taux de la Réserve fédérale n’ait pas été modifié, la décision de maintenir les taux plus élevés plus longtemps aura un effet. On craint de plus en plus que les taux élevés, qui ont commencé en mars 2022, n’aient bientôt des effets significatifs sur le marché de l’immobilier commercial.

Au début du mois, la société de gestion d’investissements PIMCO a déclaré qu’elle s’attendait à d’autres faillites de banques régionales en raison de ce dont elle appelle une «très forte» concentration de prêts immobiliers commerciaux problématiques dans leurs livres.

Le responsable des opérations immobilières commerciales de la société, John Murray, a déclaré à Bloomberg que «la véritable vague de détresse ne fait que commencer» pour les prêteurs, qu’il s’agisse de centres commerciaux ou de bureaux.

Les petites banques régionales, qui ont investi dans l’immobilier commercial lorsque les taux d’intérêt étaient bas, se retrouvent aujourd’hui avec des actifs qui valent beaucoup moins qu’à leur pic.

«Nous nous attendions à ce que les banques commencent à vendre ces prêts plus difficiles afin de réduire leur exposition aux prêts en difficulté», a déclaré Murray.

Au début de l’année, la New York Community Bancorp a dû procéder à une importante injection de capitaux après avoir dû stocker des liquidités pour des prêts potentiellement douteux.

Le problème est généralisé puisque les courtiers immobiliers estiment, selon un récent reportage du Financial Times, qu’«au moins un tiers des 2.000 milliards de dollars de prêts immobiliers commerciaux américains qui ont besoin d’être refinancés d’ici 2026 ne parviendront pas à lever des fonds», ce qui pourrait déclencher une série de faillites de banques régionales.

Quels que soient les tournants immédiats de la politique de la Réserve fédérale dans les prochains mois, le fait que les taux d’intérêt vont rester élevés par rapport au régime de taux bas, qui a prévalu pendant près d’une décennie et demie après la crise de 2008, a des implications majeures pour le financement de l’État américain.

La dette publique totale s’accélère rapidement pour atteindre 35.000 milliards de dollars, une escalade que le Trésor a déjà qualifiée d’«insoutenable». Outre l’augmentation des dépenses militaires, l’une des principales sources de l’accroissement de la dette est la hausse de la facture d’intérêts, qui a atteint 1.000 milliards de dollars par an.

Dans un article récent, Patrick Jenkins, commentateur au FT, a comparé le budget américain à une gigantesque opération de capital-investissement. Dans le cadre d’une telle opération, les sociétés de capital-investissement rachètent une entreprise et la chargent de dettes en faisant le pari que la croissance future permettra de les rembourser.

Au niveau international, les États-Unis fonctionnent comme une sorte d’aspirateur monétaire géant qui aspire les fonds mondiaux. En 2008, ils représentaient environ un quart de l’encours de la dette émise par les gouvernements des principales économies. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à près de la moitié.

Cela signifie que les taux d’intérêt dans le monde entier sont poussés à la hausse, exerçant une pression à la baisse sur la croissance mondiale dans des conditions où, comme la Banque mondiale l’a rapporté cette semaine, elle devrait rester inférieure d’au moins un demi-point de pourcentage à celle de la période 2010-2019.

Des inquiétudes sont désormais exprimées quant aux conséquences mondiales d’une incapacité des États-Unis à rembourser leur dette qui gonfle, si le pari de l’effet de levier échoue, ou même avant cela, si des taux d’intérêt plus élevés sur les bons du Trésor ont un impact sur la manière dont ils sont financés.

Le dernier rapport sur la stabilité financière de la Banque européenne a noté que, bien qu’un défaut technique sur l’encours de la dette soit un risque extrême, c’est-à-dire un événement dont la probabilité est très faible, «une hausse significative des rendements des obligations du Trésor américain ou un choc économique induit pourrait peser sur d’autres actifs à l’échelle mondiale».

D’autres analyses vont dans le même sens.

Le mois dernier, dans un document intitulé «Everything you wanted to know about the US budget deficit and debt but were afraid to ask» (Tout ce que vous vouliez savoir sur le déficit budgétaire et la dette des États-Unis sans oser le demander), l’Institut national de recherche économique et sociale du Royaume-Uni, le plus ancien organisme de recherche économique du pays, a mis en garde contre la tempête financière qui s’annonçait.

«La situation budgétaire insoutenable actuelle n’aura pas d’importance jusqu’à ce qu’elle en ait, et alors elle sera la seule à avoir de l’importance et impactera les obligations, les actions, les produits dérivés et la valeur du dollar sur le marché des changes», a déclaré l’institut.

(Article paru en anglais le 13 juin 2024)

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