Espagne: le parti de la pseudo gauche Sumar implose après sa débâcle aux élections européennes

Sumar, une coalition de 12 partis petits-bourgeois pseudo-de gauche, formée pour les élections législatives de l’an dernier et depuis novembre partenaire de coalition du gouvernement dirigé par le Parti socialiste (PSOE), est en train d’imploser après sa débâcle aux élections européennes. Il n’a recueilli que 811.000 voix et trois sièges. À titre de comparaison, aux élections européennes de 2019, Podemos avait obtenu à lui seul 2,2 millions de voix et six sièges.

Le Premier ministre du PSOE Pedro Sanchez, la ministre de l’Économie et première vice-première ministre Nadia Calvino et la ministre du Travail et deuxième vice-première ministre Yolanda Diaz, de Sumar, au parlement espagnol à Madrid, le vendredi 29 septembre 2023. [AP Photo/Bernat Armangue]

Le vote de Sumar s’est effondré depuis qu’il a été lancé. Aux élections législatives de l’année dernière, il a obtenu 31 sièges ou 3 millions de voix. C’était 600.000 voix de moins que Podemos en 2019, qui avait obtenu 38 sièges. Sumar a également perdu des sièges à chaque élection régionale depuis lors. Il est passé de six à trois sièges au Pays basque en avril et de huit à six sièges en Catalogne en mai.

Pour des millions d’électeurs, Sumar est apparu à juste titre comme n’étant pas une alternative à la politique pourrie pro-guerre et pro-austérité défendue par Podemos lorsqu’il était au gouvernement avec le PSOE, de 2020 à 2023. Podemos avait essuyé des défaites électorales successives, alors qu’il imposait réformes du travail, baisses des retraites, massacres de migrants aux frontières de l’Espagne, et qu’il envoyait des millions d’euros en armes à l’Ukraine pour la guerre avec la Russie. Ces six derniers mois, Sumar n’avait fait qu’intensifier cette politique.

Il y a quatorze mois pourtant, Sumar avait été présenté en grande pompe comme le nouveau parti gouvernemental «de gauche», devant remplacer Podemos aux élections législatives de l’an dernier. La coalition de la Gauche unie (IU) dirigée par les staliniens, des scissions de Podemos comme ‘More Madrid’ dirigé par le théoricien du «populisme de gauche» Iñigo Errejón, et l’ex-maire de Barcelone Ada Colau, se sont tous ralliés à son étendard. À sa tête, Yolanda Díaz, vice-première ministre et ministre du Travail du gouvernement PSOE-Podemos (2020-2023), qui occupe les mêmes fonctions dans le gouvernement PSOE-Sumar.

Les médias capitalistes ont soutenu son initiative avec enthousiasme compte tenu de ses références en fait d’imposition des réformes du travail, qui élargissaient le secteur des bas salaires, et de son rôle dans la réouverture des lieux de travail non essentiels durant une pandémie de COVID-19 qui a entraîné des décès massifs.

Le principal journal bourgeois espagnol, El País, a soutenu Díaz avec enthousiasme. Un éditorial déclarait qu’elle «était à la recherche de la transversalité qu’avait le premier Podemos, mais en changeant sa vieille histoire du peuple contre la caste, pour un appel plus immédiat et matériel à la “politique utile” par le biais de la négociation et du dialogue». Et d’ajouter: «Tout le monde a besoin d’audace et de générosité pour renforcer la plate-forme qui (…) témoigne d’un soutien populaire et d’un projet porteur d’espoir pour une gauche institutionnelle à vocation transformatrice».

Le tableau rose peint par El País dans son jargon postmoderniste ne s’est pas concrétisé: aux élections européennes, Sumar s’est effondré. Il a fait une campagne critiquant la montée de l’extrême droite, promouvant comme tête de liste Estrella Galán (l’ex-directrice de la Commission espagnole d’aide aux réfugiés), faisant des critiques pour la forme du budget militaire, et feignant la sympathie pour les Palestiniens au milieu du génocide de Gaza. Mais tout cela en contradiction flagrante avec la politique qu’il met en œuvre au gouvernement.

Le gouvernement PSOE-Sumar annule les concessions sociales qu’il a été contraint de faire à la classe ouvrière durant la pandémie de COVID-19 et cela dans un contexte d’inflation galopante provoquée par l’offensive de l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Il s’est engagé à imposer 15 milliards d’euros de coupes budgétaires et de hausses d’impôts cette année.

Plus de 5.000 réfugiés africains sont morts en tentant de rejoindre les îles espagnoles des Canaries sur des embarcations de fortune. Helena Maleno, porte-parole de Caminando Fronteras, a dénoncé ce «massacre» comme étant la conséquence directe des «accords bilatéraux du PSOE-Sumar avec d’autres pays frontaliers qui se concentrent sur la prévention des départs mais pas sur des protocoles visant à garantir le droit à la vie des personnes en mer. Au cours de cette période, nous avons été témoins d’un manque significatif de ressources pour la recherche et le sauvetage lorsqu’il y a des alertes de bateaux disparus, et cela a été crucial dans l’augmentation des victimes au cours de ces 5 mois».

Par-dessus tout, le gouvernement PSOE-Sumar a intensifié la guerre à l’étranger. Il a cyniquement feint de sympathiser avec les Palestiniens, en reconnaissant un État palestinien inexistant ou en soutenant la Cour internationale de justice, sans pour autant qualifier les actions d’Israël de génocide. Mais il a continué à vendre des millions d’euros d’armement au régime israélien et à importer des armes israéliennes «testées au combat» c’est-à-dire sur les Palestiniens. Les ports espagnols continuent de jouer un rôle clé dans l’envoi d’armes à Israël.

En Ukraine, Sumar a intensifié la politique de Podemos d’escalade de la guerre avec la Russie, en envoyant des millions d’euros d’armes au régime d’extrême droite du président Volodymyr Zelensky. Le mois dernier, l’Espagne a promis une aide militaire d’un milliard d’euros à l’Ukraine alors qu’elle signait un pacte de sécurité avec l’Ukraine, vendant à Zelensky des missiles Patriot et des chars Leopard.

Après les élections européennes, les partis de la pseudo-gauche qui soutenaient Sumar s’enfuient maintenant comme les rats d’un navire en perdition. Díaz elle-même a cyniquement démissionné de son poste de chef de Sumar, mais elle est restée avec plaisir vice-premier ministre et ministre du Travail. «J’ai le sentiment de ne pas avoir fait les choses comme elles auraient dû être faites… Les citoyens l’ont perçu», a-t-elle allègrement déclaré.

Le coordinateur stalinien de l’IU, Antonio Maíllo, a déclaré: «L’idée d’un parti [Sumar] qui englobe tout est dépassée et nous ne serons sous aucun parapluie». ‘More Madrid’ a appelé à une réflexion «complète et profonde» sur les résultats. Le parti régionaliste «Compromís», basé à Valence, a même nié avoir jamais fait partie de Sumar, déclarant: «Nous ne sommes pas de Sumar».

Ces partis achetés et payés ne font que débattre de la manière d’assurer leur poids dans la machine de guerre capitaliste. Ils partagent tous la même politique anti-marxiste et la même orientation anti-ouvrière, et n’ont aucune intention de changer la politique de guerre, d’austérité et d’extrême droite qu’ils ont menée jusque-là.

Diaz a brièvement évoqué la croissance de l’extrême droite aux élections européennes, la qualifiant d’«extrêmement grave» et ajoutant qu’«en Europe, la haine internationale, sous ses différentes formes, a fait un pas en avant. Nous ne pouvons pas fermer les yeux».

Mais ils le peuvent, ils l’ont fait et ils le feront, car leur politique dégoûte et démoralise de larges couches de travailleurs et de jeunes, en poussant un nombre croissant à voter pour l’extrême droite. En Espagne, Sumar a obtenu à peine 10.000 voix de plus que le nouveau parti d’extrême droite SALF (Se Acabó La Fiesta – La fête est finie) dirigé par le ‘YouTubeur’ fasciste Alvise, qui a obtenu 800.000 voix et 3 sièges. Le parti néofasciste Vox a obtenu 9,6 pour cent des voix et 6 sièges, soit 3 de plus qu’aux élections de 2019.

Mais Diaz s’est engagée à poursuivre son rôle dans le gouvernement PSOE-Sumar «pour veiller à ce que le gouvernement de coalition progressiste transforme cette vague de fond de haine et de désaffection en une vague de droits et d’espoir».

En fait, la croissance de l’extrême droite, la poussée vers la dictature et la guerre contre la Russie et la Chine sont avant tout dues à l’incapacité et à la trahison de la pseudo-gauche pro-capitaliste. Podemos et Sumar en Espagne sont la manifestation pourrie de ce processus. Comme l’a noté le WSWS dans son article de perspective «Pourquoi le vote d’extrême droite progresse-t-il dans les élections européennes»?

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La montée de l’extrême droite est bien plutôt le produit de la privation systématique des droits des travailleurs par les organisations nationalistes et bureaucratiques que les médias et la classe dirigeante promeuvent comme étant la «gauche». Contrairement à l’extrême droite, qui tente d’exploiter le mécontentement des masses à l’égard du système politique existant, en le dénonçant comme une conspiration contre la nation et en exprimant des réserves à l’égard d’une guerre effrénée avec la Russie, ces partis de la classe moyenne aisée respirent la complaisance et la suffisance.

Même face à la guerre entre puissances nucléaires, au génocide et à la montée en puissance des formes de gouvernement d’État policier et fascistes, ces organisations insistent pour que l’opposition populaire soit liée à des alliances débilitantes avec les partis de gouvernement capitaliste et les bureaucraties syndicales alliées. Quelles que soient leurs critiques de l’extrême droite, elles sont bien plus hostiles au trotskysme et à la construction d’un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière européenne pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 18 juin 2024)

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