Un projet de loi anti-démocratique sur «l'ingérence étrangère» est adopté par le Parlement canadien dans un contexte de frénésie anti-Chine

Au nom de la lutte contre «l'ingérence étrangère» dans la politique canadienne, le gouvernement libéral fédéral dirigé par Justin Trudeau et les quatre partis d'opposition ont uni leurs forces pour faire adopter à la hâte par le Parlement une loi qui élargit considérablement les pouvoirs et la portée du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et qui porte atteinte aux droits démocratiques.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau [AP Photo/Laurent Cipriani]

Le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l'ingérence étrangère :

  • crée une toute nouvelle catégorie de crimes dits «d'ingérence étrangère», passibles de sanctions pénales sévères ;

  • confère au SCRS, la principale agence d'espionnage du Canada, de nouveaux pouvoirs de surveillance et d'échange d'informations ;

  • restreint davantage le droit de manifester et menace de poursuites les travailleurs «saboteurs» qui perturbent le fonctionnement des transports et d'autres infrastructures essentielles dans le cadre d'une grève politique ou au mépris d'injonctions judiciaires ou de la législation sur les «services essentiels».

La Gouverneure générale a donné la sanction royale au projet de loi C-70 le jeudi 20 juin dernier, six semaines seulement après sa présentation au Parlement par les ministres de la Sécurité publique, Dominic Leblanc, et de la Justice, Arif Varani.

Le tollé artificiel concernant l'ingérence de la Chine dans la «démocratie canadienne» a été utilisé pour prétendre que l'adoption rapide du projet de loi C-70, sans examen parlementaire ou débat public, était une question d'urgence nationale.

Lancé par des fuites illégales du SCRS et attisé depuis plus d'un an par les grands médias, le gouvernement et les partis d'opposition, le tollé de l'«ingérence étrangère» chinoise a été utilisé pour justifier l'intégration totale de l'impérialisme canadien dans l'offensive militaro-stratégique de Washington contre la Chine et la pression en faveur d'un renforcement des pouvoirs de l'appareil de sécurité nationale.

Les conservateurs, sous la houlette de leur chef de file d'extrême droite, Pierre Poilievre, ont passé une grande partie de l'année dernière à tonner contre Trudeau et ses libéraux pour leur prétendue inaction face à l'«ingérence» chinoise, les accusant presque de trahison. Pourtant, ils se sont empressés d'adopter le projet de loi C-70 et ont proposé de collaborer avec le gouvernement pour l'aider à le faire passer en force au Parlement avant que les députés ne partent en vacances d'été la semaine dernière.

Les libéraux, le Bloc Québécois et le Parti vert ont tous donné leur accord lorsque les conservateurs ont déposé une motion à la Chambre des Communes à la fin du mois dernier pour déroger aux procédures parlementaires normales afin d'assurer l'adoption rapide du projet de loi C-70. Cependant, le Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par les syndicats et lié par un «accord de confiance et d'approvisionnement» pour soutenir le gouvernement libéral jusqu'en juin 2025, a refusé de donner le consentement unanime nécessaire, en invoquant la complexité et le caractère radical des changements proposés.

Cette «opposition» s'est avérée aussi éphémère qu'une bourrasque de neige à la fin du mois de mai. Alors que le Parlement était en ébullition suite à l'allégation du SCRS selon laquelle certains parlementaires auraient aidé la Chine et d'autres puissances étrangères de manière semi-involontaire ou volontaire, le NPD a fait volte-face. Il a permis au projet de loi de passer rapidement les six jours d'audiences du Comité de la sécurité publique de la Chambre des communes, puis s'est joint aux autres partis pour lui accorder un soutien unanime en troisième et dernière lecture.

Le gouvernement et les partis d'opposition ont tous affirmé que si le projet de loi n'avait pas été adopté avant les vacances d'été, l'une de ses principales dispositions – l'établissement d'un registre des «agents étrangers» – n’aurait pu être mise en œuvre avant les élections fédérales prévues en octobre 2025.

Le contenu de ce registre et les personnes qui doivent s'y inscrire sous peine de sanctions pénales restent en grande partie à définir par un commissaire à la transparence de l'influence étrangère qui n'a pas encore été nommé.

D'autre part, les modifications apportées par le projet de loi C-70 à la loi sur le Service canadien du renseignement et de la sécurité sont entrées en vigueur immédiatement. Le gouvernement libéral a qualifié ces modifications – qui comprennent un pouvoir accru de surveillance, de stockage et d'exploitation des données électroniques avec peu ou pas de contrôle judiciaire – de «plus importantes» depuis la création de l'agence nationale d'espionnage du Canada en 1984.

Les nouvelles infractions de sabotage et les règles d'échange de renseignements qui permettent au SCRS de fournir aux gouvernements provinciaux, aux partis d'opposition et aux entreprises des informations détaillées, y compris sur les risques présumés pour la sécurité, entreront en vigueur le 19 août.

Le Premier ministre Justin Trudeau a salué la législation lors de son passage au Parlement, déclarant : «Ce projet de loi permettra un échange d'informations plus rigoureux et plus régulier avec les premiers ministres des provinces et des territoires sur les questions d'ingérence étrangère et de sécurité nationale qui les concernent. Nous travaillons dans le respect et la collaboration afin de lutter ensemble pour protéger notre démocratie.»

Un amendement proposé par le sénateur Yuen Pau Woo visant à supprimer du projet de loi la phrase qui criminalise le simple fait de s'engager dans une activité politique «en association avec» une «entité étrangère», si elle n'est pas dûment enregistrée, a été sommairement rejeté. «Je crains que les Canadiens désireux de contribuer à la démocratie canadienne ne soient criminalisés pour leurs actions civiques à cause d'un projet de loi qui pourrait les étiqueter comme l'ayant fait secrètement ou de manière trompeuse, au motif qu'ils sont considérés comme étant 'en association avec' une entité étrangère», a fait remarquer Woo.

Les arguments du sénateur n'ont pas convaincu ses collègues. Pas plus que le mémoire des 15 principales universités de recherche du Canada (U15), qui avertissent que les dispositions relatives à la collaboration avec des «entités» étrangères pourraient avoir un «effet dissuasif» sur la participation de leur personnel et de leurs étudiants à la recherche internationale. «Il est tout simplement impossible pour les grandes universités à forte intensité de recherche de suivre les collaborations de recherche individuelles au sein de leurs établissements et d'en rendre compte dans le registre» dans les 14 jours requis, ont-elles déclaré dans un mémoire.

L'U15 a également demandé des éclaircissements sur la question de savoir si les partenariats de recherche et les accords de financement avec des universités étrangères financées par des fonds publics et d'autres institutions de recherche et agences de financement relèveraient de la compétence du commissaire chargé de la transparence des registres et de l'influence étrangère.

Shakir Rahim et Anaïs Bussières McNicoll de l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) ont témoigné le 10 juin devant la commission sénatoriale sur la sécurité nationale, soulignant la «profonde inquiétude» de leur organisation face à l'adoption rapide du projet de loi qui contient une définition vague de l'ingérence étrangère et une mesure «anti-sabotage» qui aura un effet dissuasif sur le droit de manifester et de faire grève.

Leurs préoccupations méritent d'être citées en détail :

Bien que l'ACLC reconnaisse l'importance d'aborder toute menace à la démocratie canadienne, notre examen de ce projet de loi complexe identifie plusieurs questions relatives à la Charte qui doivent être abordées avant que le projet de loi n'entre en vigueur. Par exemple, nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que le nouveau délit de sabotage (infrastructures essentielles) proposé dans la partie 2 est trop large et risque de réprimer les protestations pacifiques.

Quant à la partie 4 du projet de loi, qui vise à créer le registre de transparence sur l'influence étrangère, elle laisse des questions cruciales à la réglementation future, y compris les catégories de personnes et d'arrangements qui ne feront pas partie du champ d'application du registre et les informations qui devront être divulguées dans le registre. Cette approche – qui n'est pas conforme au principe de responsabilité démocratique – associée à la formulation vague et large utilisée pour définir les termes clés du projet de loi, laisse craindre que le registre puisse permettre au gouvernement de contrôler et de surveiller non seulement l'influence étrangère en particulier, mais aussi l'engagement international de divers acteurs. Par exemple, il est possible qu'une personne qui a été en contact avec un média ou un établissement universitaire appartenant à un État étranger et qui s'est ensuite engagée auprès du public dans un processus politique canadien soit tenue de fournir au registre des informations détaillées sur ses activités.

L'adoption du projet de loi a été accueillie avec enthousiasme par le Conseil canadien des chefs d'entreprise, le groupe de pression le plus puissant du pays. Les chefs d'entreprise canadiens réclament depuis longtemps les mesures de sécurité économique contenues dans la loi, notamment la création de nouveaux délits de sabotage pour les menaces dirigées contre les infrastructures essentielles, et l'autorisation d'un plus grand partage des renseignements sur les menaces avec les entreprises canadiennes.

Les grandes entreprises considèrent cette loi comme un nouvel outil pour identifier et mettre à l'index les travailleurs socialistes et radicaux, tout en limitant davantage les droits des travailleurs dans le cadre du système de négociation collective favorable aux entreprises, dans un contexte de vague croissante de grèves et de protestations alimentées par l'augmentation du coût de la vie et l'accroissement constant de l'inégalité sociale.

Les travailleurs doivent être avertis. Alors que le gouvernement canadien soutient le génocide israélien à Gaza avec des millions de dollars d'aide et de couverture diplomatique, qu'il alimente l'escalade de la guerre menée par l'OTAN contre la Russie en Ukraine et qu'il multiplie les provocations contre la Chine dans l'Indo-Pacifique, il met en place les pouvoirs nécessaires pour réprimer l'opposition au pays.

Il est révélateur que les organisations et publications de la pseudo-gauche de la classe moyenne qui opèrent au sein du NPD et dans sa périphérie – Révolution communiste (anciennement La Riposte), Spring Magazine, Socialist Project et Socialist Action – n'aient pas réagi à cette dernière attaque contre les droits démocratiques au Canada. Ne craignant apparemment pas que leurs activités politiques, qui soutiennent en fin de compte l'ordre capitaliste, soient perturbées de quelque manière que ce soit, elles n'ont rien dit sur le projet de loi C-70 ou, dans le cas de Socialist Project, se sont contentées de recycler les commentaires de l'ACLC et d'autres groupes similaires.

(Article paru en anglais le 26 juin 2024)

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