La pseudo-gauche des classes moyennes défend la bureaucratie et la guerre

Révolution, section française de la TMI soutient le Nouveau Front populaire de Mélenchon

Le Nouveau Front populaire (NFP) formé par le parti La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon pour les élections anticipées du 30 juin et du 7 juillet est un piège politique pour la classe ouvrière. Les enjeux de ces élections sont le risque d'une victoire du Rassemblement national (RN) néo-fasciste et les projets de l'OTAN pour une escalade massive de la guerre avec la Russie en Ukraine. 

En formant le NFP, LFI veut capter l’opposition ouvrière au néofascisme et à la guerre mondiale derrière une perspective pro-impérialiste et pro-guerre. Le programme du NFP appelle à envoyer des troupes en Ukraine et à renforcer la gendarmerie et les agences de renseignement françaises. Il rassemble LFI, le PS et le PCF stalinien, des partis de gouvernement capitaliste qui imposent la guerre et l’austérité depuis des décennies.

Le NFP utilise les services de diverses tendances de pseudo-gauche de la classe moyenne pour bloquer l’opposition à sa gauche parmi les travailleurs, qui sont conscients du bilan réactionnaire du PS et du fait que le PS joue un rôle clé pour pousser les électeurs aigris à soutenir le RN. De telles tendances minimisent la guerre impérialiste avec la Russie ou la soutiennent carrément, excusent l’inaction complice des bureaucraties ouvrières au milieu du génocide à Gaza et ignorent les liens contre-révolutionnaires de LFI avec le stalinisme.

Lors d’un récent rassemblement à Paris, les journalistes du WSWS ont interviewé Max, un leader des jeunesses de l’une de ces tendances: Révolution, la section française de la Tendance marxiste internationale (International Marxist Tendency, TMI) petite-bourgeoise. Avec le reste de la TMI, Révolution envisage de se rebaptiser Parti communiste révolutionnaire (PCR). Nous reproduisons l’interview ci-dessous, suivie des commentaires du WSWS.

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Rassemblement des travailleurs et des jeunes français sur la place de la République à Paris pour protester contre la montée du vote d'extrême droite, 15 juin 2024.

WSWS: Pourquoi êtes vous mobilisés aujourd’hui?

«On est là pour apporter plusieurs points: d’abord, évidemment, notre soutien à la stratégie du Front populaire pour le 30 juin et le 7 juillet, mais aussi pour porter une perspective plus ambitieuse. Si on veut battre l’extrême-droite, certes ça se fait avec le Front populaire pour ces échéances. Mais pour le battre après le 7 juillet, en 2027 et même une bonne fois pour toutes, il faut une perspective plus large, un programme de rupture anticapitaliste extrêmement clair et extrêmement radical. Pour cela, il va falloir pousser le Front populaire sur sa gauche et in fine lutter contre le capitalisme.»

WSWS: Vous vous situez donc en tant que soutiens extérieurs du Front populaire?

«Effectivement, nous on soutient le Front populaire. De toute évidence c’est la seule alternative de gauche à Macron et au RN dans les élections qui arrivent. Donc effectivement, on le soutient à fond. Mais forcément on a un soutien critique, donc on pointe les limites de la chose. On a vu par exemple avec la NUPES quelques mois avant, on a vu comment LFI s’est fait trahir par le PS, comme EE-Les Verts sur la question de la Palestine, ils se sont faits traiter d’antisémites. La NUPES a complètement éclaté sur cette question, donc on pointe les limites de ça.

Surtout on pointe la responsabilité de certains partis de gauche, comme le PS, qui a été au pouvoir, comme EE-Les Verts, et qui a aussi trahi la classe ouvrière. Donc il a aussi sa responsabilité dans le fait que le RN fait des scores aussi importants. Donc on pointe aussi les limites d’une alliance avec ces gens-là.

Si jamais on veut que le programme du Front populaire s’applique s’il est élu, il faudra se mobiliser dans la rue, il faudra une véritable union des syndicats, de la jeunesse et du mouvement ouvrier.»

WSWS: Ces élections se déroulent dans un contexte international extrêmement tendu. Quelle est la position de votre organisation sur la guerre en Ukraine, le retour de la guerre en Europe comme dit Macron?

«Sur la guerre en Ukraine on est extrêmement clairs pour dire que c’est une guerre entre deux impérialismes. C’est une guerre par procuration entre l’impérialisme russe et l’impérialisme américain via l’OTAN qui a fait d’énormes provocations en Ukraine pendant des années. Et évidemment il y a l’agression impérialiste de la Russie qui a envahi l’Ukraine.
C’est une situation qui est absolument désastreuse pour le peuple ukrainien, mais c’est ni l’impérialisme russe ni l’impérialisme américain qui va réussir à résoudre cette situation. C’est une guerre impérialiste donc il faut évidemment pointer la responsabilité de Poutine et des agresseurs russes, et aussi de l’OTAN et des Etats-Unis qui mènent cette guerre au détriment du peuple ukrainien qui est victime de toute cette attaque impérialiste et de cet affrontement entre deux puissances impérialistes.»

WSWS: Quelle est la position de votre organisation sur le génocide à Gaza?

«Nous on appelle vraiment aux directions du mouvement ouvrier autour du monde à prendre leurs responsabilités. Il faut absolument se mobiliser contre ce génocide, c’est le génocide le mieux documenté de l’histoire. Il n’y a pas d’excuse pour ne pas lutter contre, donc il faut lutter contre l’ennemi qui est dans notre pays qui est aussi l’ennemi des Palestiniens, donc typiquement en France c’est la bourgeoisie française, le gouvernement Macron qui a refusé de reconnaître la Palestine. Airbus, Dassault, Thalès continuent de vendre des armes à l’armée israélienne.
Les syndicats et les grands partis de gauche doivent se mobiliser contre toutes ces entreprises-là, contre le génocide. Et pour régler cette question de façon définitive, il faudra passer par un renversement du capitalisme en Israël, donc un soulèvement des masses palestiniennes et israéliennes pour une Fédération socialiste du Moyen Orient. C’est notre perspective sur le long terme, sur le court terme c’est la lutte contre l’impérialisme français.»

WSWS: Il y a eu des appels à mobiliser la classe ouvrière à l’international pour stopper l’envoi des armes en Israël et ainsi stopper le génocide. Pourquoi pensez-vous que cet appel a été si peu relayé en France et aussi dans les autres grands pays de l’OTAN par les bureaucraties syndicales?

«On a vu les dockers de Barcelone qui ont bloqué les envois d’armes pendant assez longtemps, ça s’est passé aussi je crois en Inde. Donc il y a eu des moments où les appels ont été faits et malgré tout relayés.

Mais les bureaucraties syndicales sont des bureaucraties comme vous dites, c’est-à-dire qu’elles se détachent de plus en plus de leurs bases militantes qui sont plus radicales qu’elles. Elles deviennent de plus en plus réformiste et de moins en moins révolutionnaire, plus proches du pouvoir aussi. Elles subissent la pression de la bourgeoisie. Cela devient très réformiste et très bureaucratique ce qui les éloigne des intérêts de la classe ouvrière, donc in fine cela produira des erreurs stratégiques absolument monstrueuses comme celle-ci, des erreurs dans la politique intérieure, etc.»

WSWS: Vous parlez de bâtir un parti communiste révolutionnaire. C’est un grand projet. Quelle est votre position sur l’expérience du mouvement communiste au 20e siècle, et je pense ici à la lutte entre le stalinisme et le trotskysme?

«Oui, bien sûr nous pour le coup on se réclame vraiment des idées de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, c’est-à-dire les véritables, les authentiques révolutionnaires communistes. On est des ennemis du stalinisme au 20e siècle, on l’est toujours de ce qui en reste, c’est-à-dire pas grand-chose. Il y a eu des trotskystes qui ont été tués et déportés par le stalinisme. Donc on est vraiment parmi les ennemis du stalinisme.
On explique pourquoi le stalinisme est arrivé. C’est le résultat de circonstances historiques très précises dans la Russie du 20e siècle, extrêmement arriérée, extrêmement isolée dans un seul pays, ce qui pour nous absolument impossible parce que nous sommes une internationale, l’Internationale communiste révolutionnaire. Donc pour nous le stalinisme est une trahison sanguinaire des idées du communisme et on lutte évidemment contre ça et c’est évidemment pas ça qu’on défend.»

WSWS: Vous avez parlé du rôle criminel du stalinisme, de l’assassinat stalinien de Trotsky. Il y a eu le génocide politique des marxistes en Union soviétique. Mais alors pourquoi appelez-vous à soutenir un Front populaire dont le PCF, le principal parti stalinien de France, est une composante essentielle? Comment justifiez-vous un tel positionnement?

«De toute évidence, on n’est pas du tout pour le PCF en soi, même si bien évidemment le PCF actuellement n’a rien à voir avec ce qu’il était. On soutient le Front populaire dans le cadre dans lequel on est, c’est-à-dire dans le contexte des législatives anticipées où le Front populaire est la seule force de gauche capable de vaincre Macron. On disait cela déjà de la France insoumise en 2017 et en 2022, on le dit aujourd’hui du Front populaire.

Mais on veut que le Front populaire soit beaucoup plus radical, et on souligne évidemment les trahisons qu’ont fait le PS et le PCF et EE-Les Verts.»

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Les partis petits-bourgeois comme la Révolution jouent un rôle central pour bloquer une lutte contre les énormes dangers posés par la guerre OTAN-Russie et, plus généralement, pour bloquer une l’opposition révolutionnaire au capitalisme. Ces partis savent le PS parle au nom d’une classe dirigeante qui soutient le génocide à Gaza et les attaques massives contre la classe ouvrière. Mais au nom d’une prétendue unité supra-classe contre le fascisme, ils poussent les travailleurs et les jeunes derrière le programme pro-guerre du NFP.

Le danger d’une guerre OTAN-Russie en Ukraine et la montée des partis néofascistes en Europe révèlent la faillite de ces arguments. Dans la mesure où Révolution et d’autres organisations similaires bloquent l’opposition révolutionnaire au NFP sur sa gauche, cela ne fait que donner à l’impérialisme plus de temps pour intensifier la guerre et pousse plus d’électeurs, en colère contre le bilan réactionnaire du PS et de ses alliés, dans les bras du RN. Néanmoins, la réponse de Révolution est de doubler le soutien au PS, au PCF et à Mélenchon. 

Ses arguments sont traversés par des contradictions massives et insoutenables. Tout en se réclamant faussement de la politique révolutionnaire et même de l’opposition trotskyste au stalinisme, il soutient les partis staliniens. Il prétend que les travailleurs doivent attendre que les bureaucraties syndicales se mobilisent contre le génocide de Gaza, mais avoue ensuite que ces bureaucraties sont divorcées de la base et commettent des «erreurs monstrueuses» par leur inaction complice sur Gaza.

Ses arguments sont truffés de contradictions massives et insoutenables. Tout en se proclamant faussement révolutionnaire et même favorable à l'opposition trotskiste au stalinisme, il soutient les partis staliniens. Il insiste sur le fait que les travailleurs devraient attendre que les bureaucraties syndicales se mobilisent contre le génocide de Gaza, mais admet ensuite que ces bureaucraties sont séparées des travailleurs et commettent des 'erreurs monstrueuses' par leur inaction complice à l'égard de Gaza.  

Elle ne répond jamais à la question: pourquoi la Révolution exige-t-elle que les travailleurs soient subordonnés à la contre-révolution stalinienne ou à des bureaucraties monstrueuses indifférentes au génocide ? En effet, il est impossible pour les nouvelles générations de jeunes et de travailleurs de s’orienter au milieu d’une crise mortelle du capitalisme, qui pose des tâches révolutionnaires à la classe ouvrière internationale, sans comprendre l’histoire du mouvement trotskyste. 

La TMI a ses racines dans les forces dirigées en Grande-Bretagne par Ted Grant, qui ont rompu avec le trotskysme après la Seconde Guerre mondiale. S’adaptant au démantèlement par les staliniens du mouvement de résistance armée au fascisme dans la classe ouvrière européenne, ils ont rejeté un programme trotskyste de révolution socialiste. Ils ont applaudi l’ordre capitaliste d’après-guerre en Europe comme « démocratique ». La montée électorale des néofascistes à travers l’Europe dans l’ère post-soviétique n’est que la dernière révélation e, date que cette conception est totalement fausse.

Grant s’allia plus tard aux forces dirigées par Michel Pablo et Ernest Mandel qui avaient fait scission en 1953 avec le Comité international de la IVe Internationale (CIQI), la direction du mouvement trotskyste mondial. Les pablistes prétendaient que les partis staliniens et nationalistes bourgeois pouvaient jouer un rôle révolutionnaire. Sur cette base, ils insistaient pour que le mouvement trotskyste soit politiquement liquidé et détruit par une « entrée profonde » dans ces partis.

De ce bilan anti-trotskiste, Révolution tire à la fois une orientation vers le stalinisme, qui a fini par dissoudre l'Union soviétique en 1991, et une orientation vers l'impérialisme, en particulier en Europe. Elle dissimule son soutien aux objectifs de guerreimpérialistes en dénonçant «l’impérialisme russe».

Cela aligne Révolution sur la politique de guerre de l’OTAN qui, malgré l’invasion réactionnaire de l’Ukraine par le Kremlin en 2022, joue le rôle décisif et le plus agressif dans la guerre. L’OTAN a lancé un putsch en Ukraine en 2014 pour renverser un gouvernement pro-russe élu, puis a furieusement armé le régime ukrainien d’extrême droite contre la Russie. Ayant ainsi pris le contrôle de l’Ukraine, il a ensuite poussé le régime capitaliste du président russe Vladimir Poutine à envahir l’Ukraine, plaçant l’Europe et le monde au bord de la Troisième Guerre mondiale.

Aujourd’hui, les responsables de l’OTAN dénoncent ouvertement la Russie comme impérialiste et colonialiste, adoptant des arguments défendus par des forces comme la TMI, pour proposer de conquérir la Russie et de la diviser selon des lignes ethniques. Lors d’un récent sommet en Suisse, le président polonais Andrzej Duda a appelé à découper la Russie en 200 mini-États que pourraient dominer les puissances impérialistes de l’OTAN:

La Russie est souvent appelée la prison des nations, et pour cause. Il abrite plus de 200 groupes ethniques, la plupart étannt devenus résidents de Russie grâce aux méthodes utilisées en Ukraine aujourd’hui. La Russie reste aujourd’hui le plus grand empire colonial du monde, qui, contrairement aux puissances européennes, n’a jamais subi le processus de décolonisation, et n’a jamais fait face aux démons de son passé. Il n’y a plus de place pour le colonialisme dans le monde moderne.

L’orientation pro-impérialiste de la TMI expose la fraude totale de ses prétentions à construire une internationale «communiste révolutionnaire». Il construit une collection hétéroclite de partis petit bourgeois qui, comme le montre l’exemple de sa section française, fournissent une couverture politique aux partis impérialistes de guerre et d’État policier.

Avec ce passé anti-trotskiste, il n'est ni capable ni intéressé par la formulation d'une politique cohérente pour la classe ouvrière internationale contreà la guerre et à la réaction capitaliste. Malgré toutes ses dénonciations de la Russie et de Poutine, il s'oriente vers des alliances avec les forces staliniennes qui, à l'intérieur de la Russie, ont restauré le capitalisme et construit le régime de Poutine.

Lutter contre la guerre impérialiste, le génocide et la montée du néofascisme nécessite la construction d’un mouvement anti-guerre socialiste international dans la classe ouvrière. Ceci, à son tour, nécessite de briser l’influence des tendances petite-bourgeoises comme la TMI sur les travailleurs et les jeunes. La base politique pour ce faire est la continuité internationale ininterrompue de la défense du trotskysme par le CIQI contre les forces de la pseudo-gauche comme Révolution.

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