En Corée du Sud, les travailleurs de Samsung Electronics organisent la première grève en 55 ans d’histoire de l’entreprise

En Corée du Sud, les travailleurs syndiqués de Samsung Electronics ont lancé une grève lundi 8 juillet, suite à plusieurs mois de négociations avec l’entreprise, pour réclamer de meilleurs salaires et d’autres avantages. Alors qu’initialement la grève ne devait durer que trois jours, le syndicat a déclaré une «grève générale illimitée» le 10 juillet. Cette grève est importante, car il s’agit du premier conflit social officiel depuis la création de Samsung en 1969.

Le bâtiment Seocho de Samsung Electronics à Séoul, en Corée du Sud, le vendredi 5 juillet 2024. Les syndicalistes de Samsung Electronics ont entamé une grève illimitée mercredi 10 juillet pour obtenir des salaires plus élevés et d’autres avantages [AP Photo/(AP Photo/Lee Jin-man]

Les grévistes appartiennent au Syndicat national de Samsung Electronics (initiales anglaises NSEU), affilié à la Fédération des syndicats coréens (FKTU). Samsung Electronics est le fleuron du groupe Samsung, l'un des conglomérats familiaux les plus importants de Corée du Sud, connu sous le nom de chaebol.

Le NSEU demande une hausse de salaire de 5,6 pour cent, l’application des congés payés promis et une compensation pour salaires perdus pendant la grève. Il demande encore des lignes directrices transparentes pour expliquer le système de primes de l’entreprise, lié aux bénéfices d’exploitation du trust. Actuellement, celui-ci peut prétendre qu’une division n’a pas réalisé de bénéfices pour refuser de verser des primes, quelle que soit la quantité de travail réellement effectuée par les travailleurs. Comme dans d’autres grandes sociétés de Corée du Sud, les primes représentent une part importante des salaires, le refus de les payer équivaut donc à une baisse de salaire.

C’est exactement ce qui s’est passé l’an dernier : les travailleurs de la division de fabrication de semi-conducteurs de Samsung Electronics, Device Solutions (DS), n’ont pas reçu de primes après que l’entreprise eut déclaré que DS avait enregistré une perte d’exploitation de 15 mille milliards de wons (9.988.727.974 euros) dû à la baisse de la demande, alors qu’elle était auparavant une vache à lait pour Samsung. Cette situation a entraîné un afflux important de travailleurs de DS au NSEU.

Les travailleurs ont manifesté pour la première fois le 7 juin, le syndicat et la presse qualifiant l’action de grève. Plutôt qu’une véritable grève, le syndicat avait demandé aux travailleurs d’utiliser leurs congés annuels pour prendre un jour de congé. Seul un nombre limité de travailleurs y a participé, mais le syndicat n’a pas précisé combien.

Le NSEU a ensuite entamé une grève de trois jours le 8 juillet. Auparavant, le syndicat avait déclaré «la direction est entièrement responsable de la totalité de la perte commerciale subie à la suite du débrayage en raison de l’attitude insincère dont elle a fait preuve lors des négociations».

Il avait prévu une nouvelle grève de cinq jours à partir du 15 juillet. Mais il a modifié ses plans pour entamer la grève «indéfinie» actuelle, déclarant que l’entreprise avait refusé d’entamer des négociations lors du premier débrayage.

Samsung a affirmé que ses activités n’avaient pas été perturbées après les trois premiers jours de grève. «Nous prévoyons de nous préparer minutieusement afin de garantir que la production ne soit pas perturbée. Nous poursuivrons nos efforts pour renouer le dialogue avec le syndicat», a déclaré un responsable de l’entreprise. Samsung a déclaré qu’il envisageait d’embaucher des briseurs de grève si la grève continuait.

Le NSEU est le plus grand syndicat de Samsung Electronics, avec 30.657 membres. Cela représente environ un quart de la main-d’œuvre totale de l'entreprise, qui emploie 124.804 personnes. Toutefois, selon le syndicat, seuls 6.540 travailleurs participent à la grève, la plupart d’entre eux appartenant à la division DS.

Outre le NSEU, Samsung Electronics compte quatre autres syndicats. En août dernier, le NSEU a été désigné comme organisation de négociation représentative, ce qui signifie que tout accord conclu par ce syndicat avec l’entreprise servira de base aux accords conclus avec les autres syndicats. Ce statut doit expirer le mois prochain.

Le fait qu’un grand nombre de travailleurs de la production de semi-conducteurs participent à la grève est important. Les puces sont non seulement utilisées dans des appareils tels que les smartphones; mais aussi dans la production de matériel militaire. Samsung est considéré comme un acteur important dans les efforts de l’impérialisme américain pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement en dehors de la Chine en préparation de la guerre. Le président américain Biden a d’ailleurs fait de l’usine de semi-conducteurs Samsung de Pyeongtaek son premier arrêt lors d’un voyage en Corée du Sud en 2022.

Les travailleurs de Samsung sont donc placés dans une position où ils peuvent considérablement saper la guerre de Washington contre la Russie en Ukraine ainsi que la campagne de guerre contre la Chine, toutes deux soutenues par le gouvernement de droite de Yoon Suk-yeol à Séoul, et qui menacent d’exploser en un catastrophique conflit mondial.

Cependant, à l’instar de ses homologues syndicaux du monde entier, le NSEU entend maintenir la lutte confinée à Samsung Electronics, isolée même des autres travailleurs du groupe Samsung, sans parler des travailleurs coréens et des autres pays, confrontés aux mêmes conditions répressives et aux mêmes risques de guerre causés par le capitalisme.

En fait, le syndicat accepte pleinement l’exploitation des travailleurs par Samsung, tant que l’entreprise crée les conditions lui permettant de mieux vendre cette exploitation à la main-d’œuvre. Le NSEU a demandé au trust de verser des primes appropriées, déclarant que «si tous les travailleurs travaillent avec passion, Samsung [avait] le potentiel de relever tous les défis» auxquels il était confronté du fait de la concurrence sur le marché mondial des semi-conducteurs. Des concurrents nationaux comme SK Hynix, et internationaux comme le leader du secteur TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company).

Cela signifie monter les travailleurs les uns contre les autres dans une course à qui accepte les pires salaires et conditions. Le NSEU a déjà revu à la baisse sa demande de hausse de salaire pour se conformer aux exigences de Samsung. Les 5,6 pour cent réclamés aujourd’hui sont inférieurs aux 6,5 pour cent qu’il demandait ces derniers mois, une baisse encore par rapport aux 8,1 pour cent réclamés publiquement quand les négociations ont été rompues pour la première fois en février.

Dans le même temps, Samsung Electronics connaît actuellement une forte hausse de ses revenus. Au premier trimestre de cette année, il a engrangé 1,91 trillion de wons (1,4 milliard de dollars) de bénéfices d’exploitation. Le 5 juillet, il a annoncé une hausse des bénéfices au deuxième trimestre de 1452 pour cent par rapport à l’année précédente, atteignant 10,4 billions de wons (7,6 milliards de dollars). Les bénéfices devraient encore augmenter de 400 pour cent par rapport à l’année précédente au troisième trimestre.

Aucun des syndicats sud-coréens ne mènera de lutte contre Samsung, contre une autre entreprise ou contre le gouvernement. L’organe de tutelle du NSEU, le FKTU, est l’organisation la plus ouvertement pro-patronat des deux principaux groupements syndicaux de Corée du Sud. L’autre est la Confédération coréenne des syndicats (KCTU), dite «militante».

Le NSEU a pris contact avec la KCTU pendant la grève actuelle pour échanger avec les soi-disant «entraîneurs» de grève. La KCTU ne cherche toutefois pas à étendre la grève ou faire rompre les travailleurs avec la FKTU jaune. Elle a une longue histoire de trahison des luttes des travailleurs, comme dans la grève des camionneurs fin 2022 qui avait eu un fort impact sur la grande entreprise. Au lieu de quoi la KCTU, qui soutient le Parti démocrate, espère élargir ses propres rangs de membres cotisants et donc remplir ses caisses.

Samsung a mis fin à sa «politique de non-syndicalisation» en 2020 précisément parce qu’il savait n’avoir rien à craindre de la FKTU ou de la KCTU. Il a également subi des pressions de la part du gouvernement démocrate de Moon Jae-in à l’époque. Loin d’être du côté des travailleurs, Moon et les démocrates se sont appuyés sur les syndicats pour réprimer la lutte des classes, en particulier après les manifestations de masse de 2016 et 2017 qui ont contraint la présidente Park Geun-hye à démissionner ; et durant la pandémie de COVID-19, afin de maintenir les travailleurs au travail pour ne pas impacter les profits des trusts.

Alors que la bourgeoisie continue d’attaquer salaires et conditions de travail, et que le danger de guerre, se propageant de l’Europe et du Moyen-Orient à l’Indo-Pacifique, menace à l’horizon, la classe dirigeante s’appuie de plus en plus sur les syndicats pour maintenir les travailleurs liés au système capitaliste.

(Article paru en anglais le 13 juillet 2024)

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