Inde : la grève des travailleurs de Samsung se poursuit malgré la répression grandissante de l'État

Plus de 1 500 salariés de l'usine sud-coréenne Samsung Electronics de Chennai [anciennement Madras] en Inde, sont en grève depuis plus de dix jours. Ils réclament la reconnaissance syndicale, une augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail. Leur grève a sérieusement paralysé la production de l'usine.

Le 18 septembre cependant, le Centre des syndicats indiens (CITU), dirigé par les staliniens et auquel est affilié le syndicat des travailleurs de Samsung en grève, le Samsung India Labour Welfare Union, a lancé un appel au gouvernement du parti DMK (Dravda Munnetra Kazagam) pro-investisseurs dans l’État du Tamil Nadu pour qu’il intervienne et résolve la grève. Cette décision fait suite à trois cycles de négociations infructueuses, depuis le début de la grève le 9 septembre, entre le Commissaire du Travail et les dirigeants syndicaux.

Lorsque 1 500 employés permanents sur les 1 700 employés de l'usine se sont mis en grève, la direction a tenté de poursuivre la production en utilisant 1 000 travailleurs intérimaires comme briseurs de grève. Malgré cela, la production de l'usine a été paralysée.

Des ouvriers de Samsung India en grève. Un tribunal leur a interdit de s'approcher à moins de 500 mètres de l'usine en grève.

L'usine concernée est l'une des deux usines Samsung en Inde. Elle est située à Sunguvachatram près de Sriperumbutur, à 56 kilomètres de Chennai, la capitale du Tamil Nadu, État du sud de l'Inde. L'autre usine est située à Noida, une ville industrielle moderne dans la banlieue de Delhi, dans l'Etat de l'Uttar Pradesh, au nord de l'Inde.

L'usine de Sunguvachatram fabrique des produits tels que des téléviseurs, des réfrigérateurs, des machines à laver et des climatiseurs. Elle contribue à hauteur de 30 pour cent au chiffre d'affaires annuel de Samsung en Inde, un marché de croissance clé pour l'entreprise.

Mais les travailleurs qui génèrent ces énormes profits pour Samsung sont récompensés par des salaires de misère et souffrent de conditions de travail effroyables. Cette grève est la première de l'histoire des travailleurs de Samsung Electronics en Inde depuis que l'entreprise a établi ses opérations dans le pays en 2007. Elle fait suite à une série de grèves de plus de 30 000 travailleurs de Samsung en Corée du Sud depuis juillet.

Le Premier ministre indien Narendra Modi et son gouvernement d'extrême droite du Bharatiya Janata Party (BJP), un parti suprématiste hindou, cherchent à attirer les investissements manufacturiers étrangers en présentant l'Inde comme une alternative bon marché à la Chine.

L'augmentation annuelle pour les employés de Samsung Electronics à Chennai, annoncée en mai 2024, a été fixée à 29,83 dollars (2 500 roupies). C'est, pour dire le moins, une misère comparé aux énormes profits créés par les travailleurs et les situe en bas du tableau de salaires des ouvriers des usines voisines. En 2023, l'augmentation annuelle a été de 41,76 dollars (3 500 roupies).

Seul un petit nombre de travailleurs permanents, classés par la direction de l'usine comme employés de catégorie «A», «B» et «C», ont même reçu l'intégralité de l'augmentation de 2024. Les salariés de catégorie «A» (environ cinq à dix employés) ont droit à l'augmentation annuelle de 29,83 dollars (2 500 Rs), tandis que les employés de catégorie B et C ne recevront que 11,93 dollars (1 000 Rs) et 10,74 $ (900 Rs), respectivement. Le salaire annuel le plus élevé des salariés varie de 596,58 dollars (environ 50 000 Rs) à 656,23 dollars (environ 55 000 Rs), sans compter un fonds de prévoyance d'environ 35,79 dollars (3 000 Rs).

Selon un travailleur qui a parlé au World Socialist Web Site, après 10 ans chez Samsung, il ne touche désormais que 31 000 roupies (environ 370 dollars) et ne ramène chez lui que 28 000 roupies (quelque 335 dollars).

L'usine dispose de deux équipes de neuf heures, chacune comptant environ 800 travailleurs. La première est de 8 h à 17 h et la seconde de 20 h à 5 h. Mais ces équipes n'existent que de nom, car tous les travailleurs doivent travailler au moins 11 heures par jour, quatre jours par semaine. Cela est considéré comme des heures supplémentaires.

Certains employés passent leurs journées seuls dans des zones mal éclairées, à travailler jusqu'à l'épuisement, pendant quatre ou cinq heures sans pause ; une violation flagrante des droits de l'homme, que le syndicat qualifie d’équivalent à la torture.

En raison de ces conditions de travail abusives et de ces bas salaires, les travailleurs se sont regroupés pour former un syndicat afin de lutter contre les violations de leurs droits fondamentaux par Samsung.

Le Samsung India Labour Welfare Union (SIWU) a été créé par des salariés de Samsung en juillet 2023. Ces travailleurs espéraient obtenir une accréditation gouvernementale et tentaient d'établir une affiliation avec le Centre des syndicats indiens (CITU), dirigé par les staliniens, qui représente de nombreux travailleurs de Sriperumbutur et de la ceinture industrielle dont la ville fait partie.

Afin d'empêcher la création du SWIU, la direction de l'entreprise a alors organisé un «comité ouvrier» et a encouragé les salariés à y adhérer. En outre, elle a eu recours à diverses tactiques répressives, notamment des menaces de licenciement de responsables syndicaux élus et de blocage des mutations internes.

Même si le CITU est connu pour son rôle traître et pro-patronat, Samsung India a bloqué l'enregistrement officiel du syndicat auprès du Commissaire du Travail à Irungattukkottai, afin de maintenir sa dictature effrénée sur les travailleurs.

En réaction, les travailleurs ont décidé d’arrêter la production et de se mettre en grève illimitée. Entre-temps, la direction a obtenu un sursis judiciaire interdisant aux grévistes de monter des piquets à moins de 500 mètres de l’entreprise. Le CITU a accepté sans vergogne d’appliquer cette décision. Dans une démarche réactionnaire visant à isoler et à écraser la grève, le CITU a également exigé que les travailleurs s’abstiennent de parler aux médias ou aux chaînes YouTube. Il craint tellement que les travailleurs de Samsung n’obtiennent un large soutien qu’il a déclaré que « personne de l’extérieur ne devrait intervenir et que la direction du CITU ferait le nécessaire pour résoudre les problèmes des travailleurs ».

Malgré cette mesure anti-démocratique pour bâillonner les travailleurs, les reporters du WSWS ont continué à s’entretenir avec les travailleurs sur leur lutte.

Lorsque plus de 100 travailleurs ont utilisé leurs propres véhicules et les transports publics pour se rendre à Kancheepuram afin de présenter leurs revendications au percepteur du district, la police les a mis en « arrestation préventive », ainsi que le secrétaire régional du CITU et président du SIWU, E. Muthukumar. Ils ont été détenus dans une salle de mariage jusqu'à 21 heures. Pour justifier cette action antidémocratique éhontée, la police a prétendu que les travailleurs n'avaient pas l'autorisation nécessaire pour défiler dans une zone animée accueillant des écoles et hôpitaux, et a déclaré que la manifestation pourrait provoquer une «perturbation».

Le 18 septembre, le gouvernement du parti DMK a empêché des travailleurs et des responsables de 12 syndicats d'organiser une manifestation de soutien à la grève de Samsung et de protestation contre l'intervention de la police du 16 septembre, dans une zone de Chennai désignée pour les manifestations, Valluvar Kottam. Pour tenter de brouiller les pistes, des responsables de la Labour Progressive Federation du DMK au pouvoir ont pris part à la manifestation avortée.

Le rôle traître du CITU découle de la politique réactionnaire des partis politiques auxquels il est affilié. Les partis parents du Centre des syndicats indiens (CITU) et du Congrès panindien des syndicats (AITUC) sont les partis parlementaires staliniens de l'Inde, le Parti communiste indien (marxiste) ou CPM et le Parti communiste indien (CPI), respectivement. En emprisonnant les travailleurs dans le système de relations du travail pro-patronat de l'Inde et en subordonnant politiquement la classe ouvrière au DMK, au Parti du Congrès et à d'autres partis capitalistes soi-disant «progressistes», les staliniens et leurs affiliés syndicaux ont fonctionné pendant des décennies comme les principaux piliers sociaux du pouvoir bourgeois indien.

Ils prétendent que le Parti du Congrès et les partis bourgeois régionaux comme le DMK sont des alternatives «laïques» au BJP suprématiste hindou, alors qu’ils sont depuis longtemps de connivence avec le communautarisme. Dans le même temps, les partis staliniens ont délibérément dissimulé le caractère réactionnaire de classe du DMK, son programme et son bilan anti-ouvrier.

Leur rôle traître est montré par les défaites subies ces dernières années par les travailleurs des usines Ford, Renault-Nissan, Yamaha Motors, Foxconn et BYD.

En 2010, par exemple, le CITU a trahi les grèves de 7 000 salariés de Foxconn et de 3 000 salariés de BYD qui se battaient pour des revendications similaires, notamment une amélioration des salaires et des conditions de travail, la régularisation des travailleurs intérimaires et la reconnaissance des syndicats. Ces deux grèves ont été brutalement réprimées par la police, organisée par le gouvernement de l'État du Tamil Nadu, le DMK.

Le CITU et le CPM ont toujours séparé les luttes des différents travailleurs des zones économiques spéciales de Sriperumbudur-Oragadam les unes des autres et de la main-d’œuvre urbaine et rurale au sens large, laissant chaque groupe de travailleurs lutter seul contre ses employeurs transnationaux soutenus par le gouvernement.

En septembre 2022, lorsque Ford a annoncé qu'il mettait fin à ses opérations en Inde, fermant l'usine de Chennai et supprimant 4 000 emplois, le gouvernement DMK, avec lequel le CPM stalinien est en alliance politique, s'est rangé du côté de la direction de Ford pour mettre en œuvre la fermeture.

Révélant encore davantage sa véritable nature de classe, le leader du DMK et ministre en chef du Tamil Nadu, Stalin, a rencontré la haute direction au siège de Ford dans le Michigan le 10 septembre 2024 et a exhorté l'entreprise à reprendre ses opérations de fabrication. Il a présenté l'usine fermée comme un producteur potentiel de véhicules à main-d'œuvre bon marché pour le marché mondial. Des accords totalisant 7 016 millions de roupies (835 millions de dollars) ont été signés au cours de cette tournée avec seize des plus prestigieuses entreprises du monde à San Francisco et à Chicago.

A l’instar du gouvernement national du BJP, le gouvernement du Tamil Nadu dirigé par le DMK a adopté en avril 2023 une loi modifiant la loi sur les usines, allongeant la journée de travail à 12 heures dans le cadre d’une campagne de séduction des investisseurs mondiaux. Sachant qu’une journée de travail plus longue serait attrayante pour les investisseurs soucieux de maximiser leurs profits, Stalin a déclaré: «Le projet de loi a été adopté dans le but d’attirer d’énormes investissements au Tamil Nadu et de créer des opportunités d’emploi pour des milliers de jeunes.»

Le gouvernement du DMK a finalement décidé de suspendre sa loi de 2023 modifiant la loi sur les usines, face à la résistance massive des travailleurs de plus de 40 000 usines à travers l'État. La suspension temporaire de la législation n'est qu'une manœuvre pour dissiper l'opposition et gagner du temps avant de la réintroduire, elle ou d'autres dispositions similaires à un moment plus favorable.

C’est là le rôle des syndicats nationalistes et pro-capitalistes de tous les pays. Lors des grèves des travailleurs de Samsung Electronics en Corée du Sud cet été, le Syndicat national de Samsung Electronics (NSEU) a fait office de force de police de l'entreprise pour bloquer les luttes des travailleurs et les empêcher de lancer un combat plus large.

La lutte pour des emplois stables, des salaires décents, de meilleures conditions de travail et des droits démocratiques fondamentaux ne peut être menée à bien qu’en remettant en cause le système capitaliste et toutes ses structures politiques. Cela nécessite une rupture totale avec tous les syndicats pro-capitalistes contrôlés par les staliniens et les maoïstes et la formation de comités de la base véritablement indépendants.

Pour lutter contre les sociétés transnationales comme Samsung, il faut une stratégie mondiale rejoignant les luttes des travailleurs de l’automobile et d’autres travailleurs, pas seulement au Tamil Nadu mais dans toute l’Inde et dans le monde, y compris, c’est essentiel, celle des travailleurs de Samsung en Corée du Sud.

Les ouvriers de Samsung Inde doivent suivre l’exemple de leurs frères de classe dans d’autres industries et pays et créer un comité de la base dans le cadre de l’Alliance internationale des comités de base des travailleurs (IWA-RFC, sigle anglais), qui leur permette de se regrouper au niveau international pour coordonner leurs luttes et lutter pour un avenir meilleur pour tous les travailleurs.

(Article paru en anglais le 21 septembre 2024)

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