Starmer prône l’austérité dans un discours nationaliste droitier

Keir Starmer a profité du discours prononcé au congrès de son parti – le premier d’un Premier ministre travailliste en Grande-Bretagne depuis 15 ans – pour lancer un appel aux grandes entreprises, aux électeurs conservateurs et du parti Reform, et aux sentiments les plus rétrogrades et les plus nationalistes.

Le Parti travailliste, arrivé au pouvoir avec un pourcentage des suffrages historiquement bas, cherche à gagner du terrain à sa droite et à éliminer toute expression d’une opinion de gauche, au point d’en nier l’existence, la qualifiant de «politique de protestation ». Le seul contestataire à interrompre le discours, sur Gaza, a été violemment expulsé de la salle.

Sur fond des promesses habituelles de «travailler main dans la main avec les entreprises […] sans honte de s’associer au secteur privé» et de «soutien indéfectible à l’Ukraine», le chef du Parti travailliste a prononcé un discours d’une heure rempli de rhétorique anti-migrants, de promesses de «frontières plus solides» et de se montrer «dur avec la criminalité».

Le seul mot négatif que Starmer eût à dire sur le marché capitaliste était qu’il pourrait favoriser la libre circulation des personnes. La valeur de l’État résidait dans sa capacité à les stopper.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer s'adresse aux membres du Parti travailliste lors du congrès à Liverpool, Angleterre, le mardi 24 septembre 2024 [AP Photo/Jon Super]

Les électeurs, a-t-il dit, avaient réclamé «à maintes reprises un contrôle de l’immigration […] Ils n’ont pas seulement été ignorés après le Brexit; les conservateurs leur ont donné exactement le contraire. Un système d’immigration délibérément réformé pour réduire le contrôle. Car en fin de compte, ils sont le parti du marché incontrôlé ».

Les mesures concernant la «migration» ou le «maintien de l’ordre» nécessitaient bien plutôt «un gouvernement décisif, et ce gouvernement est un gouvernement travailliste. ‘Reprendre le contrôle’ [le slogan du groupe de droite Vote Leave au référendum sur le Brexit] est un argument du Parti travailliste.» C’est pourquoi celui-ci avait obtenu, a déclaré Starmer, «une augmentation de 23 pour cent du retour des personnes qui n’ont aucun droit à être ici, par rapport à l’été dernier ».

Après avoir clairement indiqué le type de «préoccupation» qu'il invoquait et sur fond de référence aux récentes émeutes d'extrême droite au Royaume-Uni, le chef du Parti travailliste a expliqué qu'il avait «toujours accepté que les préoccupations concernant l'immigration étaient légitimes».

Il a exhorté son public de droite à être raisonnable et à accepter que le prix à payer pour expulser des milliers de personnes vulnérables était d'en accepter quelques-unes: «Si nous voulons nous attaquer sérieusement à l'immigration illégale, nous ne pouvons pas prétendre qu'il existe un processus magique qui permette de renvoyer des personnes illégalement ici sans accepter que ce processus accorde également l'asile à certains.»

C’était l’un des «défis ignorés par les conservateurs» et «l’un des compromis auxquels ce pays est confronté» et à propos desquels il était «grand temps que les politiciens soient francs avec vous». Il a encore nommé d’autres défis: «si nous voulons maintenir le soutien à l’État social, nous devons légiférer pour mettre fin à la fraude aux prestations sociales» ou «si nous voulons que justice soit rendue, certaines communautés doivent accepter de vivre à proximité de nouvelles prisons. »

La référence à la lutte contre la fraude aux prestations sociales avait été expliquée au Times avant le discours. Les travaillistes donneraient au ministère du Travail et des Retraites (DWP) le pouvoir de prendre le contrôle des enquêtes sur les fraudes, permettraient aux agents anti-fraude aux allocations d’obliger les banques à fournir des informations financières et leur donneraient le pouvoir d’effectuer perquisitions et saisies chez les particuliers.

Le DWP a été impliqué dans des suicides de personnes injustement sanctionnées. Il a récemment été accusé de persécuter les aidants pour avoir perçu des milliers, voire des dizaines de milliers de livres de trop, un résultat de ses propres erreurs.

La longue tirade de Starmer prônant le maintien de l’ordre, la lutte contre les migrants et l'aide sociale, était au centre d'un appel droitier destiné à substituer la nationalité à la classe sociale et à présenter le programme d'austérité de son parti dans le langage du «renouveau national». Il s’est servi 49 fois du mot «pays» et 29 fois du mot «service ».

«La politique du renouveau national», a-t-il déclaré, «implique une lutte commune, un projet qui dit à chacun: ‘Ce sera difficile à court terme, mais à long terme, c'est la bonne chose à faire pour notre pays’. Et nous en bénéficions tous.»

Dans une partie presque absurde de son discours, Starmer a plaisanté de manière ironique du fait qu'il répétait le même argument mensonger que les conservateurs avaient utilisé lors de leur arrivée au pouvoir en 2010, disant: «Pour reprendre une expression: 'Nous sommes tous dans le même bateau'. Mais c'est exactement ça, n'est-ce pas ? Les gens ont déjà entendu tout ça.»

La différence cette fois-ci serait que «beaucoup des décisions que nous devons prendre seront impopulaires […] Mais le coût du comblement de ce trou noir dans nos finances publiques sera partagé équitablement». Et de reprendre une autre expression: «C'est une fois encore du déjà-vu.»

Jusqu’où irait la « sévérité» et la « dureté » que le Parti travailliste compte infliger à la classe ouvrière fut illustré par la façon dont Starmer a attaqué les conservateurs : surtout pour leur «politique des réponses faciles», pour ne pas avoir pris «de décisions difficiles parce que la douleur politique était trop dure à supporter». Autrement dit, ils avaient été trop gentils.

Le Parti travailliste, lui, ne veut pas «esquiver le défi du changement». Car «le risque de montrer au monde – comme l’ont fait les conservateurs – que ce pays ne finance pas correctement sa politique est un risque que nous ne pourrons plus jamais prendre». Au lieu de «monde», lire «finance internationale».

Ces dernières années, les gouvernements bourgeois historiquement qualifiés de «centre gauche» ont contribué à la montée de l’extrême droite à travers la destruction des emplois, du niveau de vie et des communautés de la classe ouvrière, au nom du libre marché. Starmer prend le raccourci pour réaliser le même objectif en rencontrant la garde-frontière en chef européenne Giorgia Meloni (du parti Frères d’Italie), en faisant des discours d’extrême-droite et en réprimant l’immigration durant son mandat, préparant ainsi le renforcement de l’extrême droite.

Le verdict le plus clair a peut-être été rendu par Patrick O'Flynn, député européen pendant quatre ans pour le parti anti-migrants et pro-Brexit UK Independence Party, aujourd'hui chroniqueur au Spectator, qui s'est enthousiasmé du «discours formidable» de Starmer. Sur la question de l'immigration, celui-ci se trouvait « dans une position bien plus confortable que les conservateurs» et il avait «en sa possession une matraque pour donner des coups sur la tête de l'opposition officielle pendant un certain temps encore».

(Article paru en anglais le 25 septembre 2024)

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