Malgré une opposition grandissante parmi les travailleurs à une relance précipitée de l’économie, le premier ministre du Québec, François Legault, est déterminé à rouvrir prématurément les entreprises non-essentielles et l’ensemble des écoles primaires et des garderies de la province d’ici le 19 mai. Le «déconfinement», entamé alors que la pandémie continue de faire rage partout au pays, risque d’entraîner un nombre incalculable de nouveaux cas de COVID-19 et de morts évitables.
Comme l’administration Trump aux États-Unis et les gouvernements européens qui exigent le retour au travail, le gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) répond aux exigences de l’élite financière et patronale, impatiente de relancer une exploitation accrue des travailleurs pour leur faire payer les centaines de milliards qu’elle a reçues en cadeaux sous différents «plans de sauvetage».
Même si plusieurs gouvernements provinciaux au Canada ont décidé de reporter le retour à l’école en septembre prochain, tous ont annoncé, après avoir reçu le soutien du gouvernement fédéral de Justin Trudeau, un plan de réouverture des entreprises non-essentielles et un assouplissement des mesures de distanciation sociale.
Le gouvernement Legault est conscient que la «relance économique» va se faire au prix de nombreuses vies humaines et craint l’éruption d’une vaste opposition sociale. C’est ce que le directeur de la santé publique, le Dr Arruda, a tacitement admis lorsqu’il a dit que le déconfinement est un «pari risqué» dans lequel il espère «que pas trop de gens vont mourir».
Chaudement saluée par les organisations patronales, la réouverture prématurée des écoles et des secteurs parmi les plus lucratifs de la province – manufactures, construction, génie civil, commerce de détail – a mis à nu le caractère du gouvernement Legault en tant que serviteur impitoyable de la grande entreprise.
Alors que les gens ordinaires sont furieux de voir le profit placé avant la vie humaine, tout l’establishment québécois – du Journal de Montréal de droite au parti supposément de gauche Québec Solidaire – a endossé la politique anti-ouvrière de Legault tout en fournissant à ce dernier conseils et couverture pour détourner la colère populaire.
Mathieu Bock-Côté, chroniqueur ultra-droitier au Journal de Montréal, le quotidien pro-CAQ du magnat des télécommunications et ancien chef du parti québécois Pierre-Karl Péladeau, a dû reconnaître, sur un ton inquiet, la vaste opposition populaire au déconfinement. «L’opération ne se mène pas partout de la même manière et exige un grand doigté», a-t-il écrit. «Et comme on l’a vu depuis lundi, elle suscite beaucoup de scepticisme, et une certaine protestation, à la fois chez les enseignants et les parents.»
Les autres médias de la grande entreprise – La Presse, proche du Parti libéral, ou Le Devoir, proche du Parti québécois et des milieux souverainistes – ont mis leurs éditorialistes et journalistes à contribution pour faire avaler à la population le retour au travail dans des conditions hautement dangereuses.
Sans surprise, le Parti libéral et le Parti québécois – qui se sont succédé au gouvernement dans les cinq dernières décennies en imposant les diktats de la grande entreprise et en saignant à blanc le réseau public de la santé – ont essentiellement appuyé les plans de la CAQ, soulevant seulement des réserves mineures sur son application pour se donner une couverture politique.
Le rôle le plus pernicieux pour légitimer le retour forcé au travail, toutefois, est joué par Québec Solidaire. Ce dernier a offert sa pleine collaboration à la CAQ dès le début de la crise, qu’il voit comme une occasion de s’intégrer encore plus à l’establishment politique.
À l’occasion du Premier mai, journée internationale des travailleurs, le co-porte parole de QS et ancien leader étudiant Gabriel Nadeau-Dubois, a exhorté Legault d’agir comme le protecteur des travailleurs face à la grande entreprise. Il «demande» au premier ministre de garantir un «droit de retrait sanitaire» pour tous les employés dont la santé est «à risque». En réalité, Nadeau-Dubois «demande» aux travailleurs de laisser leur sort entre les mains d’un ancien PDG multi-millionnaire qui s’est fait l’apôtre, durant toute sa carrière politique, du démantèlement et de la privatisation des services publics.
Un commentaire Facebook de Christine Labrie, une députée de QS, illustre bien comment ce parti petit-bourgeois endosse pleinement la politique anti-ouvrière du gouvernement Legault et de toute l’élite dirigeante. «Je suis soulagée pour les entrepreneurs qui pourront bientôt reprendre leurs activités, et aussi pour les enfants pour qui rester à la maison n'était pas facile», écrit Labrie. «J'espère sincèrement que les mesures prises depuis le début et celles annoncées cette semaine seront efficaces, que le sommet de la courbe est derrière nous, et qu'on pourra assouplir bientôt les mesures de distanciation pour tout le monde ».
Labrie reprend ici toute une série de mensonges avancés par la CAQ et les médias de la grande entreprise pour justifier le retour au travail, y compris que la vaste majorité des enfants souffrent mentalement du confinement et qu’un retour à l’école, où ils seront gardés dans des conditions extrêmement difficiles, est préférable au confinement dans leur maison, à l’abri du virus.
Pour commencer, la situation est loin d’être «sous contrôle» au Québec. La province compte plus de la moitié des quelque 62.600 cas de COVID-19 au Canada et, avec ses 2398 décès, près de 60% de la mortalité. À Montréal, épicentre de la pandémie, des éclosions ont eu lieu dans plusieurs centres hospitaliers qui sont proches d’être débordés. La situation est particulièrement critique à l’Hôpital Maisonneuve-Rosement dans l’Est de la ville qui n’a plus de lits pour recevoir des patients atteints de COVID-19 et a dû par ailleurs annuler des chirurgies. Pendant ce temps, dans les quartiers ouvriers de Montréal-Nord et Parc-Extension, on observe une transmission communautaire à grande échelle.
Le retour au travail ne peut qu’engendrer une hausse exponentielle des cas, car les mesures de distanciation sociale et d’hygiène sont pratiquement impossibles à appliquer dans des usines bondées de travailleurs, sur des chantiers de construction où les ouvriers s’échangent les outils, ou dans les transports en commun où le va-et-vient est continuel.
De plus, les mesures sanitaires dans les milieux de travail seront largement inadéquates, comme en atteste la situation des travailleurs de la santé en première ligne, particulièrement dans les résidences pour personnes âgées, qui manquent d’équipements de protection individuels. Le personnel en milieu scolaire et en garderie, qui devra travailler auprès de jeunes enfants, ne doit pas s’attendre à recevoir du matériel de protection suffisant.
Les députés de QS se rangent derrière un gouvernement de la grande entreprise qui menace de priver de revenus tout travailleur qui refuse de rentrer au travail par crainte pour sa santé ou celle d’un proche. Dans un propos soutenu par Legault, le ministre du Travail, Jean Boulet, a déclaré que toute personne n’ayant pas de «motif raisonnable» devrait «saisir l’opportunité» de retourner au travail car «la PCU [prestation canadienne d’urgence fédérale] est purement temporaire».
Quant aux syndicats, ils continuent leur rôle traître pour étouffer toute opposition à Legault et sa CAQ, dont ils font la promotion depuis son élection en octobre 2018. Agissant comme une véritable police industrielle de la classe ouvrière, les syndicats ont assuré au gouvernement qu’ils veilleraient à ce que leurs membres retournent au travail et se conforment aux exigences du gouvernement. La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la plus importante centrale syndicale de la province, a accueilli «positivement» le dangereux retour au travail en la qualifiant de «plan de relance économique».
L’élite dirigeante veut utiliser le retour au travail pour introduire une série de mesures rétrogrades dans les relations de travail, à commencer par des réductions de salaire et des suppressions d’emplois. Mais partout dans le monde, il existe une colère grandissante dans la classe ouvrière contre la réouverture précipitée des entreprises et la négligence criminelle des gouvernements capitalistes.
Les travailleurs doivent rejeter le faux choix entre un retour au travail mettant en danger leurs vies et celles de leurs proches, ou la perte de leur gagne-pain et la ruine économique. Sur tous les lieux de travail, ils doivent bâtir des comités de la base, indépendants des syndicats pro-capitalistes, qui lutteront pour les revendications suivantes: cessation immédiate de toute activité économique non-essentielle; pleine protection des travailleurs de la santé et autres employés des secteurs essentiels; octroi de 100 pour cent de leur salaire aux travailleurs mis à pied ou acculés au chômage.
La classe dirigeante et ses représentants politiques diront que ces revendications sont «irréalisables». En fait, les ressources existent en abondance pour les réaliser, mais elles doivent être retirées des mains des capitalistes par la lutte pour un gouvernement ouvrier et la réorganisation socialiste de la vie socio-économique.
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