L'Assemblée nationale française a approuvé mardi l'invocation par le Premier ministre François Bayrou de l'article anti-démocratique 49.3 de la Constitution pour imposer un budget sans vote parlementaire. Ce budget contient 53 milliards d'euros de mesures d'austérité et d'augmentations d'impôts pour protéger les dépenses militaires tout en réduisant le déficit budgétaire de 7 à 5,3 % du PIB.
Le gouvernement Bayrou, le Rassemblement national (RN) néo-fasciste et le Parti socialiste (PS) de la grande entreprise se sont tous opposés à deux motions de censure présentées par la France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, qui a également reçu des votes de députés staliniens. Bayrou a déclaré qu'il invoquerait les pouvoirs de l'article 49.3 pour faire adopter le budget de la sécurité sociale sans vote vendredi. Cela permettra de valider les réductions massivement impopulaires des retraites de Macron en 2023 et de réduire davantage les pensions et les soins de santé.
Le budget piétine la volonté du peuple. Les réductions des retraites imposées par Macron, malgré les grèves de masse finalement étouffées par les bureaucraties syndicales, sont rejetées par 91 % de la population. Les augmentations du budget militaire, qui font plus que doubler les dépenses de 31 milliards d'euros en 2017 à 69 milliards d'euros en 2030, visent à préparer l'armée française à des guerres entre grandes puissances, comme l'appel de Macron à envoyer des troupes en Ukraine pour combattre la Russie. Une écrasante majorité de Français s'y oppose.
Si Bayrou et Macron peuvent néanmoins imposer le budget, c'est avant tout en raison de la faillite de Mélenchon. Il a œuvré pour ressusciter le PS et l'intégrer dans l'alliance du Nouveau Front populaire (NFP) que dirige LFI. En retirant les candidats LFI et en soutenant les candidats du PS et du parti Renaissance de Macron lors des élections législatives anticipées de l'année dernière, Mélenchon a joué un rôle central dans la formation du gouvernement que son parti tente à présent de censurer, sans succès.
Le budget cible d'énormes attaques contre la classe ouvrière pour continuer à détourner des fonds vers l'armée et à payer l'aristocratie financière en assurant le service de la dette publique insoutenable de la France, qui s'élève à plus de 3000 milliards d'euros. Il prévoit 32 milliards d'euros de mesures d'austérité et 21 milliards d'euros d'augmentations d'impôts, dont 8 milliards d'euros d'augmentation de l'impôt sur les sociétés sur un an. Mais alors que la France est en déficit massif et que Trump exige des pays européens qu'ils fassent à nouveau plus que doubler leurs dépenses militaires pour les porter à 5 % du PIB, la bourgeoisie a l'intention une fois de plus d'intensifier massivement l'austérité.
Les réductions portent sur 1,85 milliard d'euros pour les services de l'emploi, 1,19 milliard d'euros pour l'éducation, 630 millions d'euros pour la recherche et 781 millions d'euros pour les dépenses de développement. Les programmes écologiques sont réduits de 14 %, et une réduction de 2,2 milliards d'euros frappe les subventions de l'État aux autorités régionales, ce qui a conduit le département de l'Hérault à supprimer purement et simplement toutes les dépenses culturelles. Parmi les hausses d'impôts qui toucheront le plus grand nombre, on note une forte augmentation pour les travailleurs indépendants et une hausse des taxes sur les billets d'avion.
Après la réélection de Trump, l'aristocratie financière déclare d'ailleurs qu'une hausse de 8 milliards d'euros de l'impôt sur les sociétés est intolérable. Bernard Arnault (189 milliards de dollars), fraîchement rentré de l'investiture de Trump à Washington, a dénoncé effrontément le budget, indiquant que sa holding LVMH envisageait de quitter la France.
« Je reviens des USA et j'ai pu voir le vent d'optimisme qui régnait dans ce pays. Et quand on revient en France, c'est un peu la douche froide », a déclaré Arnault. « Je ne sais pas si c’est vraiment l’objectif du gouvernement, mais en tout cas, il va l’atteindre », a-t-il ajouté. « Nous sommes fortement sollicités par les autorités américaines à continuer nos implantations » d’ateliers, a encore dit Arnault, estimant que « dans l’environnement actuel, c’est quelque chose qu[e LVMH] regarde sérieusement ».
De tels commentaires soulignent qu'il n'y a rien à négocier avec la classe dirigeante. Bayrou dirige une dictature de l'oligarchie financière, faisant la guerre aux travailleurs alors même que les puissances de l'OTAN se préparent à intensifier les guerres de conquête à l'étranger : Trump appelant à annexer le Canada, le Panama, le Groenland et Gaza. L'utilisation rationnelle des ressources sociales et la défense des droits sociaux et démocratiques nécessitent la mobilisation de la classe ouvrière dans la lutte pour prendre le contrôle des ressources économiques en le retirant des mains de la classe dirigeante.
Mais Mélenchon a appelé les travailleurs à limiter la lutte des classes, à canaliser les conflits sociaux par le biais du parlement et à respecter la « démocratie » capitaliste même si elle pourrit sur pied. C'est le contenu de sa réunion mardi soir à Angers. Il a commencé par dire : « C’est toujours la même chose: les uns accumulent sans fin et les autres se font dépouiller de même en parallèle exact. Tout ce qui va aux milliardaires a été retiré à ceux qui produisent. C’est la vérité! »
Mais il a ensuite soutenu que les travailleurs devraient adopter une politique non révolutionnaire, citant le vote de censure réussi du NFP avec le RN pour faire tomber le gouvernement Barnier à l'automne dernier, amenant Bayrou au pouvoir. Il a déclaré : « La révolution citoyenne à laquelle nous aspirons se fait par les urnes et par des votes à l’Assemblée nationale. C’est sans un mètre de barricade ni un coup de fusil que nous avons fait tomber un gouvernement, a-t-il poursuivi. C’est par ce chemin que nous l’emporterons, et par ce chemin démocratique citoyen que nous changerons tout de fond en comble ! »
En réalité, le vote du budget Bayrou révèle l'impasse de la politique de censure de Barnier menée par le NFP. Comme elle n'a pas mobilisé les travailleurs en lutte et qu'elle a été menée par des forces hostiles à la révolution socialiste, elle n'a fait que donner le temps à la bourgeoisie de recalibrer ses politiques anti-ouvrières.
La responsabilité en incombe surtout à Mélenchon. Il a obtenu 20 % des voix aux élections présidentielles de 2022, au cours desquelles le PS et le PCF stalinien se sont effondrés, et les médias capitalistes l'ont présenté – c'est-à-dire généralement dénoncé – comme le premier homme politique « de gauche » de France. Mais il a réagi en formant une alliance avec le PS, le PCF et les Verts et en soutenant leurs candidats aux élections législatives de 2022 et 2024. Il a également accepté que les bureaucraties syndicales annulent la lutte de 2023 contre la réduction des retraites.
Mélenchon a ainsi travaillé à démobiliser la classe ouvrière, tout en renforçant Macron et ses alliés au parlement. L'imposition du budget de Bayrou est le résultat prévisible.
LFI se demande s'il faut exclure le PS du NFP, mais il s'agit d'une esquive cynique. De nombreuses forces au sein du NFP – qui comprend LFI, le PS, le PCF, les Verts et le Nouveau Parti anticapitaliste pabliste ainsi que les bureaucraties syndicales – soutiennent le budget de Bayrou. En effet, la secrétaire syndicale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Marylise Léon, a déclaré que « socialement, c'est un budget qui est injuste», mais a demandé qu'il soit adopté.
« Une stabilité, c'est une bonne chose, et un budget également, même s'il ne répond certainement pas aux attentes et aux ambitions », a-t-elle déclaré mardi à FranceInfo, mettant en garde contre les « attentes énormes » des travailleurs. « Socialement, c'est un budget qui est injuste, qui n'a aucune ambition écologique et ça, c'est un problème », a-t-elle poursuivi, ajoutant que néanmoins, « Il est urgent de le mettre en place ».
Mardi soir, Jérôme Guedj, représentant du PS, a attaqué LFI en la qualifiant d'intolérante pour avoir critiqué le vote du PS avec Macron et le RN pour le budget. Il a dit, « Ce visuel acte une évidence: il n’y aura plus jamais d’alliance entre le PS et LFI. » LFI, a ajouté Guedj, « ne saurait en cohérence s’associer à un PS considéré comme allié du RN », tandis que le PS « n'accepte pas l’insulte permanente et les procès en traîtrise ».
Quelle que soit l'issue des luttes entre factions au sein du NFP, cette expérience contient des enseignements politiques d'une grande importance. Stopper la guerre impérialiste à l'étranger et la guerre de classe à l'intérieur du pays, qui sont menées des deux côtés de l'Atlantique, nécessite l'unification et la mobilisation de la classe ouvrière en lutte. Cela nécessite la construction d'un mouvement international parmi les travailleurs de la base pour le socialisme, contre non seulement les partis du grand capital comme le PS, Macron et le RN, mais aussi des forces comme Mélenchon qui cherchent à bloquer une lutte de classe contre eux.