Le rejet par le PS de la motion de censure déposée par LFI après que Bayrou ait imposé le budget de l’État sans vote parlementaire a entraîné des critiques cyniques de Jean-Luc Mélenchon à l’égard du PS. Mélenchon couvre sa propre responsabilité politique dans les compromis de droite avec le PS qui ont permis la formation du gouvernement Bayrou et foulé aux pieds les aspirations des travailleurs et des jeunes qui ont voté pour Mélenchon.
Dans une interview accordée à La Tribune dimanche 16 février, Mélenchon a déploré le rejet des cinq motions de censure par les députés du Parti socialiste après que Bayrou est parvenu à faire adopter le budget 2025 en utilisant l’article 49.3 : « Le PS [Parti socialiste] a refusé cinq motions de censure et sauvé Bayrou avec un budget où les apprentis et les autoentrepreneurs sont taxés plutôt que les milliardaires ».
Et de poursuivre : « Ce ne sont plus nos alliés ». Mélenchon appelle à « tourner la page d’une alliance toxique. On ne peut avoir pour alliés des gens qui ont pour activité principale de nous tirer dans le dos » et affirme s’être « lourdement trompé sur un point : les socialistes n’ont jamais eu l’intention d’être des partenaires. Ils voulaient juste profiter [des “insoumis”] ». Mélenchon se plaint de Hollande qui serait responsable de l’échec de l’alliance, Hollande étant parvenu à « retourner tout le groupe socialiste en un an ».
Si Bayrou et Macron peuvent imposer le budget et se maintenir au pouvoir, c’est avant tout en raison de la faillite de Mélenchon. Le PS n’est pas la seule force au sein des nombreuses forces qui composent le NFP qui soutienne le budget de Bayrou et son gouvernement. Lors des différentes tractations entre Macron et les dirigeants du NFP pour aboutir à la formation du gouvernement Bayrou, le président du PCF, Fabien Roussel, a déclaré que le NFP « ne demanderait pas la mise en œuvre de tout son programme électoral » et Marine Tondelier, cheffe de file des Ecologistes indiquait que le NFP cherchait à se rapprocher de Macron. « Chacun doit faire un pas l'un vers l'autre ».
Les critiques de Mélenchon à l’égard du PS sont cyniques. Mélenchon veut nous faire croire qu’il se rend compte que l’alliance avec le PS était finalement « toxique » mais le NFP était un piège dès le départ pour les travailleurs. Mélenchon a œuvré pour ressusciter le PS et l'intégrer dans l'alliance du Nouveau Front populaire (NFP) que dirige LFI. En retirant les candidats LFI et en soutenant les candidats du PS et du parti Renaissance de Macron lors des élections législatives anticipées de l'année dernière, Mélenchon a joué un rôle central dans la formation du gouvernement que son parti tente à présent de censurer, sans succès.
En 1976, Mélenchon a rejoint le PS, qui, arrivé au pouvoir en 1981, a fait son «tournant de la rigueur» en 1982; il est devenu sénateur, puis ministre PS en 1997-2002. Mélenchon a quitté le PS en 2009, mais sans abandonner la perspective capitaliste d’union avec le PS, même après le virage ultra-réactionnaire du PS sous la présidence de Hollande. C’est Hollande qui a imposé la loi travail qui est à l’origine des mesures d’austérité planifiées par Macron, et l’état d’urgence avec la militarisation de la répression policière. En tentant aussi de constitutionnaliser la déchéance de nationalité, mesure ayant justifié la déportation des Juifs et la répression de la résistance sous Vichy, Hollande a trahi ses sympathies pour l’extrême-droite.
Depuis 2020, une radicalisation se passe dans la classe ouvrière internationale. Cela s’est exprimé dans les urnes par un vote de 8 millions de travailleurs et de jeunes en faveur de Mélenchon mais aussi par de grandes grèves en 2023 contre la réforme des retraites de Macron. Pendant plusieurs mois, Macron a fait face à des mobilisations de masses et des grèves dans les raffineries. Alors que deux tiers des Français étaient favorables à la chute de Macron et que la situation était objectivement révolutionnaire dans le contexte de l’escalade militaire, Mélenchon a soutenu les bureaucraties syndicales qui, par peur d’un mouvement des travailleurs leur échappant, se sont empressées de négocier avec le gouvernement de l’ancienne première ministre Borne, lui laissant le soin de faire appel aux forces de répression pour imposer la reprise du travail.
Face à la crise politique en France et la décision de Macron de dissoudre l’Assemblée pour organiser de nouvelles élections, Mélenchon, hostile à une mobilisation de la classe ouvrière contre Macron, a décidé de former une alliance avec ses anciens camarades pour tenter d’étouffer l’opposition des travailleurs et des jeunes au virage à droite des classes dirigeantes. En démobilisant les travailleurs, Mélenchon a renforcé Macron et ses alliés au parlement.
Un gouffre sépare la perspective de Mélenchon avec la perspective trotskiste avancée par le PES. Stopper la guerre impérialiste à l'étranger et la guerre de classe à l'intérieur du pays, qui sont menées des deux côtés de l'Atlantique, nécessite l'unification et la mobilisation de la classe ouvrière en lutte. Cela nécessite la construction d'un mouvement international parmi les travailleurs de la base pour le socialisme, contre non seulement les partis du grand capital comme le PS, Macron et le RN, mais aussi contre « la gauche ». Le PES a averti dès l’annonce de la formation du NFP que celui-ci était un piège pour les travailleurs.
Mélenchon défend une perspective nationaliste qui trouve son origine dans le rejet du trotskisme par des forces issues de la jeunesse petite-bourgeoise après la grève générale de Mai 68. Mai 68 avait montré le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière mais aussi le début du déclin du PCF dans la classe ouvrière après la trahison de la CGT-PCF qui ont refusé de prendre le pouvoir pour sauver le régime gaulliste. De cette situation découlait la nécessité de construire un parti révolutionnaire trotskiste. Pierre Lambert, dirigeant de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) rejeta la construction d’un parti révolutionnaire, s’adaptant aux pressions de la petite-bourgeoisie qui avait eu peur de la puissance du mouvement de Mai 68, était démoralisée par les défaites passées des travailleurs et considérait que les travailleurs n’avaient pas de rôle révolutionnaire à jouer comme l’affirment les marxistes. Avant de rejoindre le PS en 1976. Mélenchon a d’abord rejoint l’OCI, peu après sa rupture avec le CIQI en 1971. L’OCI a soutenu l’Union de la gauche entre le PS et le PCF, sur la perspective nationaliste de former un gouvernement capitaliste PS en France.
Le remplacement d’une révolution socialiste par une révolution citoyenne de Mélenchon est une impasse. Mélenchon s’était félicité d’avoir fait tomber le gouvernement Barnier avec l’aide d’un vote de censure. Cependant, sa révolution par les urnes qui ne consiste uniquement qu’à former des alliances pourries avec des partis réactionnaires pour former une force d’ « opposition » à l’Assemblée est compatible avec les institutions « démocratiques » capitalistes et donne le temps à la bourgeoisie de recalibrer ses politiques anti-ouvrières.
La lutte contre la guerre impérialiste et la guerre de classe ne passe pas par la perspective de Mélenchon de former une « opposition » à l’Assemblée nationale mais par une mobilisation consciente de la classe ouvrière pour le socialisme. Pour cela les travailleurs doivent se défaire du piège nationaliste de Mélenchon et se tourner vers les travailleurs à l’internationale en lutte pour une perspective socialiste.